Donation et clause dérogeant aux règles légales d’évaluation du rapport : l’avantage indirect né d’une telle stipulation ne peut être soumis au rapport successoral mais seulement à une réduction si celui-ci excède la quotité disponible (Cass. civ. 1ère, 5 décembre 2018, n°17-27982, Bulletin)
2 janvier 2019
Irrecevabilité de la demande en partage judiciaire d’une succession formée pour la première fois en cause d’appel : les arrêts se suivent et se ressemblent… (Cass. civ. 1ère, 18 mars 2020, n°18-25.434)
12 mai 2020
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L’existence d’un partage amiable sur la totalité des biens successoraux exclut toute demande en partage judiciaire mais ouvre seulement droit au cohéritier d’introduire une action en nullité du partage ou une action en complément de part (Cass. civ. 1ère, 6 novembre 2019, n°18-24.332).

La subtilité du droit des successions oblige les praticiens à s’interroger tout d’abord sur la nature des droits détenus par les cohéritiers consécutivement à l’ouverture d’une ou plusieurs successions.

En premier lieu, il convient de rappeler qu’une succession ne s’ouvre non pas devant le notaire mais par la survenance du décès. En second lieu, l’examen de la situation juridique dans laquelle se trouve les successeurs mérite un examen attentif : Le décès a-t-il eu pour effet de provoquer une indivision sur tout ou partie des biens permettant ensuite à un ou plusieurs cohéritiers de formuler une demande judiciaire en partage afin de faire cesser l’indivision (articles 815 et suivants du code civil) ?

Cette analyse juridique préalable est indispensable dans la mesure où l’ouverture d’une succession n’implique pas nécessairement, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et libéralités, l’existence de droits de même nature sur un même bien ou sur une même masse de biens. Autrement dit, selon les cas, il peut n’exister aucune indivision successorale, empêchant donc le Tribunal d’être régulièrement saisi d’une demande en partage judiciaire. Il en va ainsi en présence d’un légataire universel unique et d’un ou plusieurs héritiers réservataires, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans différents arrêts relativement récents (v. notamment Cass. civ. 1ère, 11 mai 2016, n°14-16967 et Cass. civ. 1ère, 15 mai 2018, n°17-16039). 

En l’espèce, deux époux communs en biens laissent à leur succession deux enfants (réservataires). L’un d’eux découvre, postérieurement au décès du survivant, que son cohéritier a, du vivant de ses parents, utilisé une procuration bancaire sur les comptes bancaires des époux. L’héritier lésé décide donc de porter l’affaire devant le Tribunal suivant assignation du 22 novembre 2013 et sollicite l’ouverture des opérations de comptes liquidations et partage de la communauté des époux prédécédés et de leurs successions respectives, qu’il soit jugé l’existence d’une libéralité au profit du titulaire de la procuration. En conséquence, il invoque donc que son cohéritier taisant doit le rapport (articles 843 et suivants du Code civil) ainsi que le recel successoral (article 778 du Code civil).

Ceci étant rappelé, l’irrecevabilité d’une demande en partage judiciaire peut également résulter d’une autre cause : L’intervention préalable d’un partage amiable portant sur l’intégralité des biens successoraux entre les cohéritiers résultant d’une succession de partages partiels. Telle était la présente affaire soumise devant la Cour de cassation.

Sauf que préalablement à cette instance judiciaire, les cohéritiers avaient vendu et partagé d’un commun accord le prix de vente de deux immeubles en indivision successorale mais s’étaient également répartis, de façon amiable, tous les meubles et liquidités ayant appartenu aux défunts.

L’on s’aperçoit immédiatement de la problématique posée aux Juges du fond : Le choix d’une action en partage judiciaire était-il pertinent alors que les biens des deux défunts avaient tous été partagés entre les deux successeurs au moment de l’introduction de l’instance judiciaire ?

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 12 septembre 2018, déclare l’action en partage judiciaire introduire par le cohéritier irrecevable, faute d’indivision successorale au jour de l’introduction de l’action en justice. Dès lors, toutes les demandes accessoires en rapport et recel sont également déclarées irrecevables.

Le cohéritier succombant en cause d’appel forme un pourvoi en cassation. Il soutient que le rapport des libéralités – qui constitue une opération comptable préalable au partage des biens et conséquemment sur les droits des cohéritiers dans la masse à partager – avait pour effet de créer ‘comptablement’ une nouvelle sorte d’indivision entre les successeurs.

Le moyen exposé par le demandeur au pourvoi ne pouvait qu’être voué à l’échec.

En effet, la demande en rapport ou en recel successoral est une demande accessoire à la demande principale en partage judiciaire (CA Aix-en-Provence, 18 septembre 2019, RG n°17/01104). Ceci implique donc, au jour de la demande introductive d’instance en partage judiciaire, qu’il existe effectivement une masse de biens existants à partager, ce qui présuppose donc l’existence de droits indivis sur un bien ou sur une masse de biens.

En l’espèce, les héritiers avaient – probablement de manière involontaire – procédé et consenti au fil du temps à des partages partiels successifs sur différents biens indivis successoraux. L’examen des faits montre qu’il avait été décidé de mettre en vente plusieurs immeubles indivis, sur lesquels les cohéritiers avaient ensuite perçu leur quote-part sur le prix de vente, ce qui constituait en soi différents partages partiels. En outre, les cohéritiers s’étaient également répartis volontairement les meubles et/ou liquidités bancaires, conduisant là encore à qualifier ces opérations comme étant des partages partiels.

L’on commence à entrevoir la suite des événements : L’accomplissement de multiples partages partiels conduisant peu à peu à un partage de l’entière succession (ou des successions en cas de règlement de plusieurs successions confondues), ceci sans que les successeurs n’aient réellement conscience des effets juridiques attachés, à savoir l’impossibilité d’introduire ensuite une action en partage judiciaire mais surtout, sans que la question de la liquidation des biens et du traitement des demandes accessoires (notamment le rapport ou la réduction d’une ou plusieurs libéralités) ne soient à quelconque moment formulés par le ou les cohéritiers y ayant intérêt…

Sur un plan formel, cette succession de partages partiels n’aboutit de facto à l’élaboration d’aucun acte de partage par le notaire saisi du règlement amiable de la succession).

Logiquement, la Cour d’appel de Paris déclare donc irrecevable la demande en partage judiciaire formulée par l’héritier à l’initiative du procès. Cette décision est, sans réelle surprise, confirmée par la Cour de cassation, qui souligne dans son attendu que :

 « (…)  les demandes en rapport d’une libéralité dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu’à l’occasion d’une action en partage judiciaire ; qu’une telle action ne peut plus être engagée lorsque les parties, ayant déjà procédé au partage amiable de la succession, ne sont plus en indivision ; (…) »

Pour autant, il ne faut pas croire que la maladresse du cohéritier soit définitivement sanctionnée. En pareille situation, celui-ci n’est pas privé de tout recours : Afin de rétablir une égalité du partage de l’entière succession – déjà intervenu – il lui est possible d’envisager d’intenter soit une action en nullité du partage successoral (articles 887 et suivants du Code civil) soit une action en complément de part (articles 889 et suivants du Code civil), étant néanmoins souligné que le régime juridique de ces deux actions demeure bien plus contraignant que l’action en partage judiciaire.

C’est ce que rappelle également la Cour de cassation :

« Et attendu qu’après avoir relevé que les parties avaient procédé au partage amiable des immeubles, des meubles et des liquidités dépendant des successions d’T… O… et de G… R…, la cour d’appel en a déduit à bon droit que les demandes de M. O…, qui n’avait ni engagé une action en nullité de ce partage ni agi en complément de part ou en partage complémentaire, n’étaient pas recevables ».

Finalement, un examen préalable complet de la situation patrimoniale et juridique de la succession reste une nécessité impérieuse pour le conseil chargé d’un tel contentieux afin de limiter le risque d’une décision d’irrecevabilité.

Réf. : Cass. civ. 1ère, 6 novembre 2019, n°18-24332, à paraître au Bulletin.

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