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Droit des successions

LA RÉDUCTION DES LIBÉRALITÉS


La réduction des libéralités dites excessives ne se conçoit qu’en présence d’héritiers appelés réservataires. En dehors des situations où la loi française désigne des héritiers réservataires, le défunt reste libre d’organiser sa succession comme il l’entend, soit de de son vivant, en faisant choix de transmettre ses biens par donation, soit à cause de mort, en décidant de léguer tout ou partie de son patrimoine.

Contrairement à plusieurs pays étrangers, le législateur français a fait le choix d’instaurer un mécanisme de protection permettant d’encadrer la transmission à titre gratuit des biens dépendant du défunt. Cette catégorie particulière d’héritiers, les héritiers réservataires, ont ainsi la faculté, de pouvoir exiger la protection de la réserve dont ils sont titulaires ceci par l’effet direct de la loi et qui est d’ordre public (le défunt ne peut, par convention, déroger à la réserve, sauf le cas spécifique des donations partages).

Ainsi, tout héritier réservataire a vocation à recevoir une quotité de biens ou droits dans la succession du défunt ou, leur permettant d’échapper à une éventuelle exhérédation par testament ou encore à une appréhension de biens successoraux inférieure à ce qu’il aurait dû recevoir.

Depuis la loi du 23 juin 2006, les deux catégories d’héritiers qui, en droit français, bénéficient d’une protection par l’instauration d’une réserve héréditaire, sont les descendants en ligne directe et, à défaut de ces premiers, du conjoint survivant.

LA RECHERCHE DES LIBÉRALITÉS RÉDUCTIBLES

I. LA RESERVE ET LA QUOTITE DISPONIBLE : TAUX ET LIQUIDATION

1. Le taux de la réserve et de la quotité disponible

Depuis la loi du 23 juin 2006, seules les descendants du défunt sont réservataires (article 913 du Code civil).
A défaut de descendants, le conjoint survivant devient l’unique héritier réservataire. Les ascendants (pour les successions ouvertes le 1er janvier 2007) ne sont plus héritiers réservataires.

1.a) La réserve des descendants

Tous les descendants ont la qualité d’héritier réservataire, quel que soit la nature du lien de filiation (légitime, naturel, adoptif) et quel que soit leur degré de parenté avec le défunt.

  • Le taux de la quotité disponible ordinaire :

Le Code civil fixe un taux variable en fonction du nombre d’enfants laissés par le défunt et venant personnellement à la succession de ce dernier (ou venant par représentation) :
Taux de la quotité disponible en présence d’un enfant : ½
Taux de la quotité disponible en présence de deux enfants : 1/3
Taux de la quotité disponible en présence de trois enfants et plus : ¼
Inversement, le taux de la réserve globale est de ½, 2/3 et ¾ selon que le défunt laisse un, deux ou au moins trois enfants.
Le taux de la réserve personnelle des héritiers réservataires venant à la succession (qu’ils viennent de leur chefs ou par représentation) est répartie entre eux, selon les règles de la dévolution successorale.
Ainsi, si des descendants n’appartenant pas au premier degré viennent à la succession du défunt (en raison de l’existence du prédécès ou d’une indignité, à l’exception du renonçant*), il est procédé à une répartition par souches, chaque héritier de la souche. Dans chaque souche, le taux de réserve se répartit entre les descendants de manière égalitaire.
(*) Toutefois, le renonçant est pris en compte pour la détermination du taux de la quotité disponible:
-  si celui-ci est représenté
-  s’il est tenu de rapporter à la succession, malgré renonciation, une donation par l’effet d’une stipulation spécifique dans l’acte notarié (article 845 code civil)

Cas n°1 : Un défunt a eu un seul enfant, lequel est prédécédé. Ce dernier avait lui-même trois enfants. En présence d’une souche unique, les petits-enfants viennent à la succession de leur grand-père de leur chef. Le taux de la quotité disponible est ici de la moitié. La réserve globale des descendants (du second degré) est de la moitié. La réserve personnelle des petits-enfants est de 1/6ème chacun

Cas n°2. Un défunt a eu deux enfants (Paul et Henry) dont l’ainé Paul est prédécédé, ce dernier laissant 4 enfants. En présence de deux souches, les 4 petits-enfants viennent à la succession de leur grand-père par représentation de leur père prédécédé. Le taux de la quotité disponible est de 1/3 . La réserve globale est de 2/3. La réserve personnelle de Henry est de 1/3. Les quatre enfants de Paul, qui viennent par représentation de leur Paul prédécédé, ont une réserve personnelle de 1/12 chacun (ensemble 4/12, soit 1/3)

Cas n°3 : Un défunt laisse deux enfants, Jacques et Thierry. Jacques a eu deux enfants, Nicolas et Benoît. Jacques renonce à la succession de son père. Nicolas et Benoît viennent par représentation de leur père renonçant. Le taux de la quotité disponible est du tiers (Jacques est représenté par ses deux enfants). La réserve globale est de deux tiers. La réserve personne de Thierry est d’un tiers, la réserve personnelle de Nicolas et Benoît est pour chacun d’eux de 1/6ème

Cas n°4 : Un défunt laisse deux enfants, Rémi et Lisa. Rémi n’a pas eu d’enfants. Rémi renonce à la succession sans qu’une donation n’ait stipulée qu’il devait le rapport en cas de renonciation. Le taux de la quotité disponible est de la moitié. La réserve personnelle de Lisa est de la moitié.

  • Le taux de la quotité disponible spéciale du conjoint survivant :

Lorsqu’il existe un conjoint survivant, les libéralités qu’il a pu recevoir bénéficient d’une imputation élargie par rapport à la quotité disponible ordinaire. L’imputation, en pareil cas,  a lieu sur une quotité disponible spéciale fixée par l’article 1094-1 du code civil, qui laisse, sauf volonté contraire du défunt, trois options possible au conjoint survivant (l’option est laissée à ses héritiers s’il est décédé avant d’avoir opté, les créanciers n’ayant pas la faculté de l’exercer par la voie de l’action oblique):

  • Soit la pleine propriété de la quotité disponible ordinaire (qui est variable en fonction du nombre d’enfants)
  • Soit un quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit
  • Soit l’usufruit de l’universalité de la succession

Les héritiers réservataires ne peuvent donc, lorsque le conjoint est gratifié au-delà de la quotité disponible ordinaire (par l’effet d’une ou plusieurs donations entre vifs, par le jeu d’une institution contractuelle ou encore du fait de l’existence d’un legs), profiter pleinement de leur réserve personnelle telle que fixée par l’article 913 du Code civil).

1.b) La réserve du conjoint survivant

La réserve du conjoint survivant  présente un caractère subsidiaire en ce qu’elle n’existe que si le défunt l’a pas laissé d’enfant à sa succession. Le conjoint survivant n’a donc la qualité d’héritier réservataire qu’en l’absence de descendants.
Elle est invariablement fixée à un quart de la succession. La quotité disponible est donc de trois quart de sa succession.
L’existence d’une procédure de divorce en cours ou d’un jugement de séparation de corps est sans incidence sur sa qualité d’héritier réservataire.

2. La détermination de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible :

Afin de protéger au mieux les héritiers réservataires de leurs droits successoraux, le législateur prévoit de quoi se compose la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible.
Celle-ci comprend :

  • tous les biens existants du de cujus évalués au jour de décès,
  • il est déduit toutes les dettes successorales existantes au jour du décès,
  • la réunion fictive de toutes les donations faites par le défunt mais réévaluées au jour du décès

2.a) Les biens existants

Les biens existants s’entendent de tous les biens laissés par le défunt au jour de son décès, plus précisément tous les droits dont il était titulaire et qui ne se sont pas éteints avec lui. Il s’agit de tous les biens légués ou ceux d’une institution contractuelle (donation entre époux).
Lors que le de cujus était marié sous le régime de la communauté, les droits de ce dernier sur les biens de la communauté portent, en principe (sauf clause prévoyant un partage inégalitaire contenue dans le contrat de mariage), sur la moitié du boni de communauté.
Ne peuvent donc composer la masse de calcul :

  • les droits qui ont disparu du fait du décès : usufruit, droit d’usage et d’habitation (droits réels) ou encore une créance de rente viagère (droit personnel).
  • Les droits résolus par sa mort lesquels sont fictivement censés n’avoir jamais existé (clause de retour conventionnel, clause d’accroissement ou tontine)

Sont également exclus :

  • tous les biens n’appartenant plus au défunt  : assurance-vie souscrite par le défunt au bénéfice d’un tiers, les fruits issus de biens frugifères nés postérieurement au décès.
  • Les biens sans valeur pécuniaire (papier de famille, titre, décorations)
  • les créances irrécouvrables (sauf les créances que détenait le de cujus contre un ou plusieurs héritiers insolvable et venant à la succession, le règlement pouvant avoir ici lieu en moins prenant)
  • les droits issus d’une condition suspensive non réalisée.

Il convient également de réserver le cas spécifique des biens faisant l’objet d’une succession anomale :

  • les biens objets d’un droit de retour légal (ce qui suppose ici que le défunt ne laisse pas de descendants mais seulement un conjoint survivant réservataire) :
    • Si les biens n’ont pas été légués, ils ne peuvent pris en considération dans la masse de calcul en tant que biens existants puisque ceux-ci sont soustraits de la succession ordinaire pour être réglés dans la succession anomale.
    • Si les biens ont été légués, la succession anomale ne s’ouvre pas et ceux-ci réintègrent la succession ordinaire. Dès lors ces biens doivent être intégrés dans la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible (avec une particularité pour le droit de retour légal des pères et mère de l’article 758-2 du Code civil)
  • Les biens objets d’une dévolution selon leur nature (tel l’usufruit du droit d’exploitation au profit du conjoint survivant résultant de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle), la question reste posée et n’a pas été tranchée de manière claire.

2.b) La déduction des dettes

Après avoir évalué l’actif existant au jour du décès, il convient de déduire toutes les dettes dont le défunt était redevable au jour de son décès.
Il peut s’agir, dans le cadre d’un régime communautaire, d’un solde de récompense à l’avantage de la communauté.
Certaines charges de succession peuvent également être déduites tels les frais funéraires, les frais de logement du conjoint ou du partenaire lié par un PACS, la créance de salaire différée, la créance du conjoint collaborateur, les frais de liquidation et partage de la succession (à l’exclusion des frais de délivrance du legs, frais d’ouverture et de dépôt d’un testament) mais non les droits de succession (qui constituent des dettes personnelles des héritiers).
Ne figurent cependant pas les dettes qui se sont éteintes suite au décès, telles les dettes non transmissibles.
En cas de succession anomale, ne figure pas le passif incombant au successeur anomal du fait de l’autonomie entre la succession ordinaire de la succession anomale.
Nota : Il faut néanmoins réserve la situation particulière du droit de retour légal instauré au profit des père et mère par l’article 738-2 du Code civil (droit de retour légal d’ordre public qui peut s’exercer en valeur lorsque le bien donné ne se retrouve plus en nature dans la succession de l’enfant gratifié décédé), lequel qui s’impute sur la vocation ordinaire du ou des parents donateurs (absence d’autonomie ici).

2.c) La réunion fictive des biens donnés par le défunt :

La réunion fictive des libéralités a pour finalité de protéger de l’héritier de sa réserve contre toutes les donations qui seraient excessives.
Il s’agit d’une opération purement comptable et n’oblige le bénéficiaire d’une donation à aucune restitution. La demande en réduction n’étant que facultative, cette opération n’oblige en rien le gratifié d’une libéralité réductible – car excessive - de régler quelconque indemnité à l’héritier réservataire non rempli intégralement du montant de sa réserve.
Quelles sont les donations à réunir fictivement ?
Contrairement aux règles du rapport successoral, il s’agit de toutes les donations quelles qu’elles soient :

  • Donation ordinaire, donation-partage, donation par contrat de mariage, donation entre époux ;
  • Donation en avancement de part successorale (anciennement en ‘avancement d’hoirie’) ou donation hors part successorale (anciennement par ‘préciput et hors part’) ;
  • Donation ostensible (notariée), don manuel, donation déguisée ou indirecte ;
  • Donation faite par prélèvement sur les fruits et revenus ou sur le capital (toutefois les fruits et revenus de la chose données échus entre le jour de la donation et celui du décès n’ont  pas à être réunies fictivement)

L’avantage matrimonial consenti par contrat de mariage au profit de l’époux survivant n’étant pas considéré comme une donation, il n’y a pas lieu de procéder à sa réunion fictive, sauf le cas de l’avantage matrimonial en présence d’enfant(s) issu(s) d’une précédente union où il est permis en pareil cas (tant pour l’enfant issu du premier lit que pour l’enfant commun) d’exercer une action en retranchement (article (article 1527  alinéa 2 du Code civil).
Par ailleurs, sont exclus de toute réunion fictive : les frais d’entretien, les frais d’apprentissage ou les présents d’usage.
Par ailleurs, le contrat d’assurance-vie étant hors succession, les primes ou le capital versé par le défunt ne peut faire l’objet ne peuvent faire également être intégrés au titre de la réunion fictive, sauf en cas d’existence de primes considérées comme manifestement exagérées.
La preuve de l’existence d’une donation : Il appartient à l’héritier réservataire (ou les héritiers réservataires) qui entend se prévaloir d’une donation d’en rapporter la preuve, ce qui peut être particulièrement compliqué à rapporter en cas de donation déguisée, indirecte ou dons manuels, notamment en raison de l’écoulement du temps ou encore parce que les documents ou justificatifs probatoires n’ont pas été conservés, ou disparu…
L’héritier réservataire doit rapporter la preuve de l’élément matériel (généralement l’appauvrissement du donateur et l’enrichissement corrélatif du donateur) mais également l’intention libérale (la volonté de la part du donateur de gratifier le donataire).
Cette preuve se rapporte par tous moyens, même par présomption. Toutefois, les juges restent particulièrement rigoureux et sont particulièrement réticents à fonder leur décision sur l’existence de simple présomptions : il faut pour l’héritier réservataire apporter des indices sérieux, graves et concordants.
Dans certaines situations, le législateur a instauré une présomption de gratuité : en effet, l’article 918 du Code civil énonce que les ventes (à l’exclusion de l’échange ou de toute autre opération) faites à un successible en ligne directe (qui doit revêtir la qualité d’héritier présomptif au moment de l’acte) soit avec réserve d’usufruit (exclusivement), soit à charge de rente viagère soit à fonds perdus sont présumées être des libéralités, sans qu’il soit possible pour le bénéficiaire d’échapper à cette requalification à l’occasion du règlement de la succession.
De telles opérations qui présentent en apparence un caractère onéreux sont présumées suspectes. (il est toutefois possible pour les parties, afin d’éviter toute requalification ultérieure, de faire intervenir à l’acte suspect tous les héritiers réservataires, de telle manière que ces derniers - ou leurs héritiers - ne pourront ensuite venir revendiquer l’existence d’une libéralité. Cette intervention vaut reconnaissance des autres héritiers de la sincérité de l’opération).
Lorsqu’une telle opération a lieu à la fois au profit d’un descendant réservataire et de son conjoint (non héritier présomptif), seule la quote-part transmise à l’héritier réservataire doit être réunie fictivement.
Enfin, la présomption d’interposition visée à l’article 911 du Code civil ne s’applique pas à la présomption irréfragable visée par l’article 918 du Code civil.
Les effets de la présomption visée par l’article 918 sont les suivants :
Il s’agit d’une présomption de gratuité (la vente n’est pas nulle, seul le prix stipulé est considéré comme ayant été fictivement payé) et est irréfragable, c’est à dire que le bénéficiaire de la vente n’est pas autorisé à venir rapporter la preuve qu’il a effectivement payé le prix stipulé (il ne pourrait même pas récupérer le prix qui aurait été déjà été effectivement payé).
Il s’agit ensuite d’une présomption de dispense de rapport à la succession.

3. L’évaluation de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible

3.a) L’évaluation des biens existants au jour du décès

L’article 922 du Code civil dispose que les biens existants sont évalués au jour du décès.
Il n’y a pas lieu de distinguer entre les biens dévolus ab intestat et les biens légués ou objet d’une institution contractuelle (par une donation entre époux).
En conséquence, pour la détermination de la quotité disponible et de la réserve héréditaire, il n’y a pas lieu, dans un premier temps, de prendre en considération la date du partage comme c’est le cas pour le rapport successoral.

3.b) L’évaluation des biens réunis fictivement

L’évaluation des biens réunis fictivement a lieu en principe pour sa valeur au jour du décès . Toutefois, il convient de distinguer plusieurs hypothèses.

Le bien donné se trouve encore dans le patrimoine du gratifié au jour du décès :

Le bien donné est fictivement réuni pour sa valeur au jour du décès.
L’avantage matrimonial consenti au profit du conjoint survivant doit également être évalué au jour du décès lorsque celui-ci dégénère en libéralité par l’effet de l’exercice d’une action en retranchement (ce qui suppose l’existence d’un enfant issu d’une précédente union).
Les biens donnés doivent être évalué selon leur état au jour de la donation (identiquement aux règles d’évaluation déterminées par les articles 860 et suivants du Code civil ayant au rapport).
Il n’y a pas lieu de distinguer entre l’état matériel et l’état juridique du bien donné.
Néanmoins, il y a lieu de prendre en considération le changement d’état (du bien donné) si celui-ci provient du fait donataire.
Ainsi, si le donataire a amélioré le bien par son activité (par exemple la réalisation de travaux d’amélioration), il n’y a pas lieu de tenir compte de la plus-value apportée par cette amélioration. Au contraire, si la plus-value est fortuite (tel un terrain devenu constructible du fait d’une modification des règles d’urbanisme postérieurement à la donation), il y a aura lieu de tenir compte du nouvel état du bien.
S le bien donné s’est dégradé fortuitement, sans faute du donataire, (telle une destruction partielle ou totale), il y aura lieu de tenir compte de la modification de l’état du bien (moins-value), sauf à tenir compte de l’éventuelle indemnité perçue. Au contraire, si l’état du bien s’est trouvé modifié du fait de l’activité fautive du donataire, il y aura lieu d’en faire abstraction et l’état du bien sera abstraitement considéré comme n’ayant pas été modifié.
Lorsque la donation porte sur des titres sociaux, il y a lieu de tenir compte de l’état du patrimoine social (actif/passif), investigations qui peuvent se révéler délicates lorsque la donation est ancienne.

Le bien donnée ne se retrouve pas dans le patrimoine du gratifié au jour du décès :

L’aliénation du bien avant le décès :
Le bien donné est fictivement réuni pour sa valeur au jour de l’aliénation, sans qu’il ne soit tenu compte de la valeur qu’il peut avoir au jour du décès.
Précision étant faite que lorsque le bien est aliéné à titre onéreux, tel en cas de vente, la valeur du bien donné qui doit être retenue n’est pas le prix mais sa valeur réelle au jour de la vente, selon son état au jour de la donation.

Si un autre bien a remplacé celui donné (subrogation), c’est la valeur de ce nouveau bien au jour du décès, selon son état lors de son acquisition, qui doit être réunie.
Il en est de même que la donation porte ou non sur une somme d’argent et peu importe également le titre d’acquisition du nouveau bine (vente, échange, apport en société).
Naturellement, lorsque l’aliénation du bien donné n’a permis que d’acquérir pour partie le bien nouveau, il y a lieu de procéder à un calcul proportionnel pour déterminer la valeur du bien nouveau à réunir fictivement.

Tempérament : Depuis la loi du 23 juin 2006, la loi exclut la subrogation lorsque le bien acquis est un bien de consommation, qui se déprécie inéluctablement avec le temps et son utilisation (véhicule, bateau…).

Cas spécifique de la donation-partage :

Le principe est que tous les biens donnés par donation-partage sont réunis fictivement pour leur valeur au décès.
Cependant, les biens sont évalués au jour de la donation-partage (sauf clause contraire) lorsque :

  • tous les enfants vivants ou représentés ont reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté
  • il n’a pas été prévu de réserve  d’usufruit portant sur une somme d’argent

Cette règle particulière de fixation n’empêche aucunement l’un ou plusieurs héritiers de contester la valeur des biens fixés dans l’acte de donation-partage.

Cas spécifique de la donation avec charges :

En pareil cas, la donation doit ici être réunie fictivement pour la valeur de l’émolument net, c’est à dire déduction faite de la charge stipulée.
Cette charge n’a pas à être réévaluée au jour du décès.
De plus, il devra être éventuellement tenu compte des fruits perçus par le donataire au moyen du bien donné.
Lorsque la charge a été stipulée au profit d’un tiers (et non pas au profit du donateur), celle-ci est également considérée comme une donation indirecte donnant donc lieu à une réunion fictive (les opérations de liquidation devront faire apparaître l’existence de ces deux libéralités : la première donation consentie au profit du bénéficiaire sans que ne soit déduite le montant de la charge, la seconde au profit du tiers, qui correspondra à la valeur de la charge stipulée)

Cas spécifique de la donation en nue-propriété ou en usufruit :

Il faut ici tenir compte de deux hypothèses différentes :
Si la pleine propriété s’est reconstituée sur la tête du donataire : c’est la valeur de la toute propriété qui doit être fictivement réunie.
Si le démembrement est maintenu au décès du donateur :

  • c’est le cas lorsque le défunt a stipulé une réserve d’usufruit au bénéfice d’un tiers toujours en vie  telle la clause de réversion d’usufruit), il faut réunir fictivement l’usufruit d’une part et la nue -propriété d’autre part.
  • c’est le cas lorsque le défunt s’était réservé la nue-propriété : l’usufruit sera réuni fictivement alors que la nue-propriété se quant à elle comprise dans la masse des biens existants    

II - L’IMPUTATION DES LIBERALITES

Cette opération est déterminante en ce qu’elle permet de savoir si une ou plusieurs libéralités portent atteinte à la réserve héréditaire.
Cette opération permet de mesurer un éventuel excès à la réserve.

1. L’ORDRE D’IMPUTATION

1.a) Les libéralités dont le législateur a expressément prévu l’ordre d’imputation :

1° L’imputation prioritaire des donations

Selon l’article 923 du Code civil, les legs sont réduits avant les donations.
Dès lors, il y a lieu d’imputer prioritairement les donations avant les legs.
En d’autres termes, le legs a plus de chance d’être réduit qu’une donation.
Cet ordre d’imputation s’impose quand bien même la donation est dépourvue de date certaine (tel un don manuel)

2°Les donations les plus anciennes sont imputées prioritairement aux donations les plus récentes.

Les donations sont donc imputées chronologiquement  en commençant par la donation la plus ancienne.
Cette règle s’applique à toutes les donations  quelle que soit leur forme (authentique ou non).
Toutefois, cela suppose de rapporter la preuve de la date de la donation. En présence d’une donation faite par acte authentique, la date inscrite sur l’acte a date certaine jusqu’à inscription de faux.
Il en va toutefois différemment en cas de donation indirecte ou déguisée, qui n’a donné lieu qu’à la signature d’un acte sous signature privée. En effet, selon l’article 1377 du Code civil, « un acte sous signature privée n’acquiert date certaine à l’égard des tiers*  que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d’un signataire, ou du jour où sa substance est constaté dans un acte authentique ».
Dès lors, une donation indirecte ou déguisée résultant d’un acte sous signature privée non enregistré ou non reprise dans un acte authentique ultérieur, si le donataire survit au défunt, la libéralité sera imputée avant toutes celles dont la date est opposable aux tiers (mais imputée nécessairement avant les legs).
La solution est identique si aucun écrit n’a été dressé, comme pour les dons manuels.
* Est un tiers fondé à opposer l’absence de date certaine d’une donation (indirecte ou déguisée), l’héritier réservataire ou un autre donataire du défunt non partie à l’acte sous signature privée.

Cas particuliers :

Si des donations ont la même date, elles supportent chacune une réduction proportionnelle, sauf le cas où le défunt est donné la préférence à l’une d’elles.
Si l’un des donataires est insolvable ou inconnu, la réduction est supportée par le donataire précédent (seuls les donataires, et non les réservataires, supportent le risque d’insolvabilité).

3° L’imputation concurrente des legs

Lorsque plusieurs les dispositions testamentaires excèdent, soit la quotité disponible soit la portion de cette qui resterait après avoir déduit la valeur des donations, la réduction se fait au marc le franc, ceci sans aucune distinction entre les legs universels et les legs particuliers. (926 code civil)
Précision étant faite que dans l’hypothèse ou un legs universel et un legs particulier sont réductibles proportionnellement, le montant du legs universels est déterminé déduction faite du legs particulier (le légataire universel supportant toujours la charge du legs particulier).
Exception : lorsque le légataire universel est consenti au profit d’un unique héritier réservataire, la réduction proportionnelle ne s’applique pas : le legs particulier est imputé avant le legs universel.

1.b) Les libéralités dont le législateur n’a pas expressément prévu l’ordre d’imputation :

L’institution contractuelle par contrat de mariage :

Cette institution contractuelle doit être imputée avant tous les legs et avant les donations qui lui sont postérieures (sauf clause contraire).
Il en va de même pour les avantages matrimoniaux qui dégénèrent en libéralité du fait de l’exercice d’une action en retranchement.

Institution contractuelle entre époux au cours du mariage :

Cette institution contractuelle doit être imputée après toutes les donations et concurremment avec des dispositions testamentaires.

Donation entre époux de biens présents au cours du mariage :

La donation entre époux de biens présents  doit être imputée comme une donation faite par acte authentique, à savoir à sa date.

1.c) La liberté laissée au défunt pour modifier les règles susvisées :

Lorsque l’ordre légal de réduction repose exclusivement sur une considération d’équité, la règle n’est pas considérée comme étant d’ordre public.

Il en va ainsi s’agissant de la réduction proportionnelle des legs et des institutions contractuelles.

Lorsque l’ordre légal de réduction résulte de la date de dessaisissement du disposant, la règle n’est pas non plus considérée comme étant d’ordre public.

Ainsi, il est permis au défunt de stipuler qu’un legs (qui ne prend effet qu’au décès) sera imputé avant une donation qui lui serait postérieure. Il est également permis au défunt de stipuler dans l’acte de donation que celle-ci ne sera réductible avant un legs qu’il a antérieurement consenti (mais non dans un acte ultérieur).
Le défunt peut encore pour une donation entre époux de biens présents qui ne produit pas effet au cours du mariage, peut stipuler qu’elle sera réductible avant une donation ultérieure ou avant un legs quel que soit la date du testament (ceci de manière unilatérale et même postérieurement à la donation en raison de sa révocabilité)

Lorsque l’ordre légal de réduction résulte de l’irrévocabilité de la donation, il est d’ordre public

Le donateur ne peut reprendre ce qu’il a donné, directement ou indirectement.
Dès lors le donateur ne peut stipuler dans une donation qu’elle sera réductible avant les libéralités, qu’il consentirait ensuite.
Sont dès lors d’ordre public la réduction chronologique des donations et celle des legs avant les donations qui leur sont antérieures (sauf les donations ou institutions consenties par contrat de mariage qui sont librement révocables).

2. LE SECTEUR D’IMPUTATION

Les opérations d’imputation s’expliquent par le fait que certaines libéralités tendent à composer la part de réserve de l’héritier réservataire. En pareil cas, il n’y a pas lieu de les imputer sur le disponible, du moins tant que la réserve personnelle n’est pas dépassée. Pour les libéralités faites à un héritier non réservataire, les libéralités reçues ne peuvent jamais s’imputer sur la réserve.

2.a) -Les libéralités faites à un gratifié sans droits dans la réserve

Il peut en premier lieu s’agir d’une libéralité faite à un non successible (personne non appelée à la succession) tel un tiers (personne physique ou morale) ou encore à un héritier exclu par un héritier préférable (ordre ou degré). En pareil cas, le gratifié n’a aucun droit dans la réserve puisqu’il est sans droit dans la succession.
Il peut en second lieu s’agir d’une libéralité faite à un successible mais qui n’a pas la qualité de réservataire. En pratique, il ne peut s’agir que des deux situations suivantes :

  • le défunt a laissé à sa succession au moins un descendant (réservataire) ainsi que son conjoint survivant
  • le défunt a laissé à sa succession son conjoint survivant (réservataire) et au moins un de ses parents (père/mère).

Dans ces hypothèses, seule une imputation sur la quotité disponible est permise. Dès lors que l’une ou plusieurs libéralités, après opérations d’imputation, excèdent le disponible, elle est ou sont réductibles.
Portée de la règle lorsque le gratifié est un héritier non réservataire :
Si la donation a été stipulée hors part successorale, aucune difficulté : le gratifié conserve le bien donné dans la mesure où elle n’est pas, en tout ou partie, sujette à réduction.
Si la donation a été faite en avancement de part successorale (ce qui est le principe), le gratifié reste tenu au rapport de la libéralité reçue. Quand bien même la libéralité ne serait pas réductible (car ne dépassant pas la quotité disponible), il ne peut en conserver le bénéfice.
L’imputation d’une telle libéralité conserve un intérêt dans la mesure où elle permet de fixer le sort des donations postérieures au regard de la réduction.

2.b) -Les libéralités faites au profit d’un héritier réservataire

Il s’agit ici des libéralités faites à un héritier réservataire qui a accepté la succession. Pour savoir si une telle libéralité s’impute sur la réserve ou la quotité disponible, la loi distingue les libéralités faites en ‘avancement de part successorale’ et les libéralités faites ‘hors part successorale’.

Les libéralités hors part successorale

Ici, la libéralité, qui tend à avantager l’héritier réservataire (puisqu’elle n’entame pas sa réserve personnelle), s’impute nécessairement sur la quotité disponible.
Deux conséquences :

  • L’imputation sur la quotité disponible a pour conséquence de réduire la portion du disponible aux libéralités postérieures devant également s’imputer sur la quotité disponible (donation aux non successibles ou héritier non réservataire ; donation hors part successoral faite à un héritier réservataire, donation en avancement de part successorale s’imputant subsidiairement sur le disponible, legs).
  • Lorsque la libéralité hors part excède le disponible, elle est sujette à réduction (article 919-2 du Code civil).

Les libéralités en avancement de part successorale :

La technique de l’imputation permet de révéler si une libéralité est réductible ou non et, par conséquent, si le gratifié va devoir la restituer (en tout ou partie).
Par hypothèse lorsque la gratifié est un héritier acceptant ayant reçu une donation en avancement d’hoirie, il est permis de se demander quelle peut être la raison de procéder à son imputation alors que celui-ci sera tenu de la rapporter à la succession (rapport successoral). Ces intérêt est double : d’une part parce que son imputation peut avoir une incidence sur l’imputation des libéralités consenties postérieurement. D’autre part, car les règles relatives au régime des restitutions dans le rapport et la réduction diffèrent (sort des fruits, délais de paiement, droit de poursuite contre le tiers acquéreur).

  • L’imputation réglée par la loi :

Selon les termes de l’article 919 alinéa 1er du Code civil, une donation faite en avancement de part successorale à un héritier réservataire s’impute prioritairement sur sa réserve et, subsidiairement, si cette dernière est épuisée, sur la quotité disponible.
Dès lors, deux situations peuvent se présenter :
-Si la libéralité excède la réserve personnelle sans épuiser la quotité disponible, elle n’est pas réductible. (mais la libéralité restera toutefois rapportable aux cohéritiers du gratifié : ainsi, si elle n’est pas réductible en nature, sera inscrit, au titre des restitutions, dans la masse partageable, l’indemnité de rapport déterminée en valeur partage).
-Si au contraire, la libéralité excède la quotité disponible (après avoir épuisé sa réserve personnelle) elle demeure sujette à réduction. La donation est ici rapportable pour le tout et peut, après opérations d’imputation, être réductible en tout ou partie.
Le cohéritier devra s’attacher à vérifier s’il lui est préférable ou non d’exiger ou non la réduction au regard des modalités prévues par les règles régissant les restitutions. (bien évidemment, une seule et unique libéralité ne saurait être restituée deux fois, de sorte qu’il y a lieu de mesurer la proportion de l’indemnité de réduction au regard du montant du rapport lors des opérations de liquidation)

  • L’imputation sur la réserve légale des héritiers réservataires résultant d’une stipulation contractuelle :

L’article 919-1 du Code civil prévoit que  « la donation faite en avancement d’hoirie à un héritier réservataire acceptant  s’impute sur sa part de réserve et, subsidiairement, sur la quotité disponible, s’il n’en a pas été autrement convenu dans l’acte de donation.
Le législateur permet donc au défunt de prévoir, par le jeu d’’une clause, une imputation subsidiaire sur la réserve globale (et non pas sur la quotité disponible).
Là encore, en présence d’une telle clause, le risque de réduction est augmenté. Dès lors que la libéralité excède la réserve personnelle du gratifié pour empiéter sur celle de l’un ou plusieurs de ses cohéritiers, elle demeurera réductible (et rapportable).
Si la réserve globale des cohéritiers réservataires venait à être totalement entamée, la libéralité s’imputera ensuite sur la quotité disponible.
Cette clause a pour effet de préserver autant que possible la liberté testamentaire du défunt et de permettre une exécution du ou des legs éventuellement consentis.

2.c) Les libéralités consenties à un héritier renonçant :

Par l’effet d’une renonciation à succession, l’héritier devient étranger à la succession (sauf bénéfice d’un legs) et perd nécessairement sa qualité de réservataire.
En pareille situation, toutes les libéralités consenties au renonçant s’imputent nécessairement sur la quotité disponible.
S’il n’avait pas la qualité de réservataire, la renonciation n’a aucune incidence sur les opérations d’imputation (si la libéralité était rapportable, le rapport n’est plus dû, sauf clause contraire).
Si le gratifié a la qualité d’héritier réservataire, il y a lieu de distinguer :

  • En cas de libéralité ‘hors part successorale’, la renonciation n’a aucun effet et s’impute comme s’il avait accepté. Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006, la renonciation a pour effet d’augmenter très généralement la quotité disponible (l’héritier renonçant n’étant pas comptabilisé pour le calcul du taux de la réserve globale et de la quotité disponible, sauf représentation ou si une clause impose le rapport en cas de renonciation. [il n’y a que dans le cas où il existe au moins quatre héritiers réservataires que l’existence d’une renonciation par héritier réservataire n’a pas d’incidence sur le taux de la quotité disponible. Toutefois, la réserve personnelle des héritiers acceptants s’en trouvera nécessairement augmentée].

Rappelons qu’il y a lieu de transposer identiquement les règles dégagées pour l’héritier renonçant à l’héritier déclaré judiciairement indigne : pour le calcul de la quotité disponible et de la réserve, sauf le jeu de la représentation l’enfant indigne n’est pas pris en compte.

  • En cas de libéralité en ‘avancement de part successorale’ : la renonciation du gratifié a pour effet d’imputer la libéralité reçue sur la quotité disponible, de nature à déjouer les prévisions qu’aurait pu faire le défunt (sauf en cas de représentation ; sauf également clause imposant le rapport en cas de renonciation, où la part de réserve est fictivement maintenue pour les opérations de liquidation en vertu de l’article 754 al. 3 du code civil).

N’étant ici plus soumise au rapport (sauf clause contraire), la renonciation a également pour effet de réduire la masse de calcul et, incidemment, de réduire la part du disponible.

3. LES CAS PARTICULIERS COMPLEXES

3.a) Les règles particulières d’imputation du fait de l’objet de la libéralité

  • Libéralité portant sur un bien démembré
  • Libéralité ayant prévu une clause de rapport forfaitaire
  • Présence d’une libéralité-partage

Libéralités en usufruit ou en nue-propriété imputable sur la quotité disponible :

La jurisprudence a pu décider que les libéralités en nue-propriété sont imputables sur la nue-propriété de la quotité disponible. Pareillement, les libéralités en usufruit ne sont imputées que sur l’usufruit de la quotité disponible.
Toutefois, il y a lieu de tenir compte de l’application de l’article 917 du Code civil (qui s’applique sauf volonté contraire du disposant) qui prévoit, dans le cas d’une seule libéralité consentie en usufruit ou rente viagère dont la valeur dépasse la quotité disponible, que les héritiers réservataires disposent d’une option : exécuter la disposition ou abandonner la propriété de la quotité disponible..
Dès lors, si l’article 917 s’applique (ce qui suppose, au regard de la jurisprudence,  qu’il n’existe qu’une seule libéralité en usufruit à l’exclusion de toute autre libéralité) aucune imputation n’est à réaliser. Il y a lieu de comparer les revenus procurés par le ou les biens donnés ou légués à ceux de la quotité disponible. S’il y a dépassement de la quotité disponible, les réservataires disposent de l’option. S’il n’y a pas dépassement, la libéralité s’exécute pleinement ;
Si au contraire l’article 917 ne peut être appliqué, il faut procéder à son imputation selon les règles dégagées par la jurisprudence précitée.

Libéralités comprenant une clause de rapport forfaitaire ou d’une clause imposant un valeur de rapport au jour de la donation :

Il convient préalablement de rappeler que lorsqu’il est inséré une clause de rapport forfaitaire (ou évaluée au jour de la donation) aboutit à rendre le donataire comptable d’une valeur inférieur à celle dont il aurait été tenu au regard de l’application de la règle légale, la libéralité est d’une nature mixte : il s’agit d’une libéralité en avancement de part successorale à hauteur de la valeur rapportable et hors part successorale pour l’excédent.
Il faut tenir compte d’une double imputation :

  • pour sa valeur rapportable, elle s’impute principalement sur la part de réserve du gratifié ;
  • pour le surplus, elle s’impute prioritairement sur la quotité disponible.

Cette clause ne génère donc un avantage ‘hors part successorale’ que dans la mesure où la valeur rapportable (évaluée au partage) est inférieure à la valeur du bien au jour du décès.
Précisions :

1° : si la clause dérogeant à la règle légale du rapport est postérieure à la donation, l’avantage doit être imputé à la date où les parties en sont convenues (et non la date de la donation)

2° : Si la fraction rapportable aboutit à une imputation subsidiaire sur le disponible, il existe une incertitude sur le fait de savoir si elle doit être imputée avant ou après que la fraction non rapportable.

Libéralité-partage :

La donation-partage : Ces libéralités ne sont jamais soumises au rapport. Toutefois, elles ont pour objet de permettre un partage anticipé entre les bénéficiaires, de sorte qu’elles donnent lieu à un allotissement anticipé au profit des donataires.
Les lots attribués font donc l’objet d’une imputation comme des avancements de part successorale, conformément aux dispositions de l’article 1077 du Code civil.
Dès lors, lorsque les biens donnés l’ont été au profit d’un donataire ayant la qualité d’héritier réservataire (enfant), les biens donnés s’imputent prioritairement sur sa réserve personnelle puis, subsidiairement, sur la quotité disponible (sauf dans le cas d’un bien stipulé hors part successorale  ou encore renonciation à la succession par le gratifié : Ici, le ou les biens mis dans son lot s’imputent sur la quotité disponible).
Le lot attribué à un héritier réservataire (voire à un tiers) s’impute sur la quotité disponible seulement.
Le testament-partage : Les biens sont imputés identiquement aux règles dégagées pour la donation-partage.
Deux précisions toutefois :

  • l’héritier ayant renoncé à la succession du défunt perd nécessairement le bénéfice du lot qui lui était attribué (article 1079 du Code civil).
  • Il existe une incertitude sur la possibilité pour un tiers (non successible) d’être gratifié dans le cadre d’un testament-partage.

3.b) Les règles particulières d’imputation tenant à la personne du gratifié

Le conjoint survivant : Pour déterminer les droits du conjoint survivant, il y a lieu de tenir compte des règles particulières d’imputation de ses droits successoraux en considération de l’article 758-6 du Code civil et dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux (1094-1 du Code civil).

Les libéralités faites en pleine propriété au profit du conjoint survivant s’imputent sur la quotité disponible ordinaire, celles faites en usufruit s’imputant principalement sur l’usufruit de la réserve des héritiers réservataires.

LES MODALITÉS DE LA RÉDUCTION

Lorsqu’une ou plusieurs libéralités sont réductibles, il reste à savoir selon quelles modalités il y a lieu de procéder à la réduction.
Identiquement à ce qui a été dit pour le rapport, la réduction peut se concevoir soit en valeur soit en nature.
La loi du 23 juin 2006 a généralisé a dégagé un principe qui est que la réduction doit se faire en valeur, sans pour autant exclure l’hypothèse d’une réduction en nature.

I .CHAMP D’APPLICATION DE LA REDUCTION EN VALEUR ET DE LA REDUCTION EN VALEUR

 1. Le principe de la réduction en valeur :

Selon l’article 924 du Code civil, lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive, quel que soit l’excédent.
La réduction en valeur a donc vocation à s’appliquer :

  • peu importe la personne du gratifié (héritier ou non héritier),
  • peu importe la nature de la libéralité (donation ou legs),
  • peu importe l’objet de la libéralité,
  • peu importe de la forme de la libéralité,
  • peu importe l’importance de la réduction (partielle ou intégrale).

 2. L’exception : la réduction en nature

2.a) Le pouvoir de la volonté :

La volonté du disposant

Le défunt peut prévoir que la réduction éventuelle se fera en nature, s’il entend assurer, à hauteur de la réserve, la conservation des biens dans la famille ou assurer une égalité en nature entre ses héritiers.
Une telle stipulation trouve son principalement sa raison d’être dans un legs universel ou à titre universel. Elle peut plus rarement se concevoir lorsque le défunt fait une libéralités sur un ou plusieurs biens déterminés (que ce soit dans une donation ou dans un legs) dans la mesure où l’intention du disposant est que le gratifié reçoive et conserve, de manière effective, les biens objets de la libéralités.
Une telle clause ne contrevient bien évidemment pas à l’ordre public.
Toutefois, une telle clause imposant une réduction en nature n’est possible, lorsqu’il s’agit d’une donation, que dans l’acte constitutif avec l’accord du donataire qui l’a accepté (le donateur ne peut ultérieurement l’imposer, comme par exemple par testament).

La volonté du gratifié :

Lorsque la succession est ouverte, et si l’un au moins des héritiers réservataires l’ont demandé, le gratifié peut opter unilatéralement pour une réduction en nature, conformément à l’article 924-1 du Code civil.
Il faut néanmoins que le gratifié soit encore propriétaire du bien (absence d’aliénation au profit d’une autre personne), qu’il ne soit pas grevé de charges (gage, hypothèque) et qu’il soit libre de toute occupation.
Il en ira ainsi lorsque le gratifié ne pourra pas payer l’indemnité de réduction, du fait d’une situation financière insatisfaisante ou encore s’il ne souhaite pas régler ladite indemnité (un tel refus peut naturellement se concevoir pour un légataire qui n’a pas encore pris possession du bien ou de la quotité léguée et qu’il n’aura donc même pas à procéder à quelconque restitution).
Il convient d’observer enfin que le gratifié peut être mis en demeure par l’un des réservataires de prendre parti entre la réduction en valeur et la réduction en nature (article 924-1 du Code civil). A compter de ladite mise en demeure, le gratifié dispose d’un délai de trois mois pour opter. A défaut d’avoir pris parti à l’intérieur de ce délai, le législateur a précisé que la réduction a lieu en valeur.

2.b) L’insolvabilité du gratifié

Afin d’assurer l’effectivité la réserve, le législateur a prévu, dans l’hypothèse où le gratifié est insolvable, que le ou les héritiers réservataires peuvent exiger, seulement à l’encontre du tiers acquéreur, une réduction en nature. (alors que cette faculté n’est pas permise aux héritiers réservataires lorsque le bien donné ou légué demeure encore dans le patrimoine du gratifié, ce qui demeure paradoxal…)
L’article 924-4 du Code civil que « après discussion préalable des biens du débiteur de l’indemnité de réduction et en cas d’insolvabilité de ce dernier, les héritiers réservataires peuvent exercer l’action en réduction ou revendication contre les tiers détenteurs des immeubles faisant partie des libéralités et aliénés par le gratifié (…) »
Il faut démontrer l’existence de plusieurs conditions :

  • l’existence d’une insolvabilité avérée du gratifiée ;
  • L’héritier réservataire ne doit pas avoir consenti à l’acte d’aliénation. (en pareil cas, le tiers est sûr de ne pas subir l’exercice d’une action en réduction contre le bien acquis). En cas de bien légué, le consentement ne se conçoit qu’après l’ouverture de la succession, c’est à dire après le décès du disposant. En cas de bien donné, ce consentement peut être donné  avant même l’ouverture de la succession, en exprimant une volonté de renoncer de manière anticipée à exercer son action en réduction à l’encontre d’un tiers acquéreur.
  • S’il s’agit d’une libéralité portant sur un bien meuble, l’héritier réservataire ne doit pas se heurté à un tiers acquéreur de bonne foi (article 2276 du Code civi). Ainsi, si le tiers acquéreur est de mauvaise foi, celui-ci s’expose à une action en revendication contre le bien qu’il a acquis du gratifié.

Dans l’hypothèse où le gratifié a aliéné le bien reçu en plusieurs fois (par fraction), celui-ci doit prioritairement exercer son action contre le dernier acquéreur (ceci présuppose une réduction seulement partielle).
Une fois régulièrement exercée l’action en réduction contre le tiers acquéreur, quelles sont les possibilités offertes à celui-ci ?
Le tiers dispose d’une alternative :

  • Soit il verse l’indemnité de réduction. Les héritiers réservataires ne peuvent ici refuser l’offre
  • Soit il est contraint délaisser le bien acquis.

Le tiers acquéreur bénéficie d’un recours en garantie contre le gratifié, lequel s’avèrera ici illusoire puisque l’action des réservataires résulte du fait que le gratifié était insolvable…

II. LES CONSEQUENCES DE LA REDUCTION EN VALEUR ET DE LA REDUCTION EN NATURE       

1. Les conséquences de la réduction en valeur

La réduction en valeur n’a aucun effet sur l’effet translatif attaché à la libéralité : la propriété du bien reçu demeure celle du gratifié.
La réduction en valeur impose seulement le gratifié à indemniser les héritiers réservataires (article 924 alinéa 1er) : Le gratifié est débiteur d’une indemnité de réduction qui s’éteindra par le règlement pécuniaire.
Dès lors, en présence d’un legs universel consenti au profit d’un cohériter ou d’un tiers, l’héritier réservataire, nécessairement créancier d’une indemnité de réduction, n’est pas dans une situation d’indivision avec le gratifié. Il ne peut donc être demandé le partage, ni la licitation ni même l’attribution préférentielle.
Le gratifié encore en possession du bien donné ou légué, qui refuserait de payer l’indemnité de réduction ou se retrouverait insolvable, ne semble pas être exposé à une demande de réduction en nature.
Toutefois, une fois les opérations de liquidation terminée, le réservataire ayant la qualité de créancier, pourrait si le gratifié renâcle à régler l’indemnité de réduction, prendre toute garantie utile sur le bien donné ou légué (gage, hypothèque…) pourrait entreprendre une saisie immobilière ou encore toute autre voie d’exécution.
En cas d’insolvabilité du débiteur de l’indemnité de réduction, le réservataire pourrait éventuellement exercer son action en réduction contre le précédent bénéficiaire d’une libéralité (à l’origine non réductible), le réservataire n’ayant pas à subir le risque d’insolvabilité.

1. a) Le montant de l’indemnité

L’article 924 du Code civil contraint le gratifié une indemnité de réduction égale à la fraction réductible  (ou portion excessive).
L’article 924-1 du même code précise les modalités du calcul de cette fraction réductible en énonçant que « Le montant de l’indemnité de réduction se calcule d’après la valeur des biens donnés ou légués à l’époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour de la libéralité a pris effet. S’il y a eu subrogation, le calcul de l’indemnité de réduction tient compte de la valeur des nouveaux biens  à l’époque du partage, d’après leur état à l’époque de l’acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation. »
Le mécanisme retenu par le législateur est ici celui de la dette de valeur, comme pour la détermination du rapport.
En conséquence, la liquidation de la dette (au jour du partage) peut faire l’objet d’une correction en raison de la modification de l’état du bien ou encore du fait de l’aliénation du bien.

 Evaluation à l’époque du partage

L’évaluation à la date du partage, de la fraction réductible telle que déterminée au jour du décès, résulte aujourd’hui des dispositions de  l’article 924-2 du Code civil.
Dans l’hypothèse où l’état du bien n’a pas connu de modification entre la date du décès et la date du partage, la règle est simplifiée :

  • Si la réduction est totale, l’indemnité est égale à la valeur du bien à l’époque du partage ;
  • Si la réduction n’est que partielle, elle est égale à la valeur, à l’époque du partage, de la fraction réductible :

Indemnité de réduction = fraction réductible X (valeur du bien au partage / valeur du bien au décès)

La prise en considération de l’état du bien

L’indemnité de réduction étant déterminée au regard de la valeur du bien objet de la réduction, les réservataires profitent des plus-values ou supportent les moins-values (sauf celles résultant de l’activité du gratifié).
Dès lors, la loi apporte un correctif pour la liquidation de l’indemnité de réduction au jour du partage : Celle-ci est liquidée d’après la valeur du bien au jour du partage comme compte tenu de son état au jour où la libéralité a pris effet.
Ce jour est celui où le donataire ou le légataire a acquis la jouissance du bien : Ainsi, si la libéralité objet de la réduction est :

  • une donation, il s’agit du jour de la libéralité
  • un legs  : soit celui du décès lorsque le légataire dispose de la saisine, soit celui de la délivrance amiable (ou de la demande en justice en délivrance) s’il n’est pas héritier saisi.
  • Une institution contractuelle : assimilée à un legs, l’institué se trouve dans la même position que le légataire (entrée en possession)

Pour déterminer l’indemnité de réduction, il est donc nécessaire de procéder à une ventilation entre les différents  changements d’état intervenus sur le bien donné ou légué objet de la réduction, postérieurement que le gratifié en ait assuré la gestion.
Dès lors, la valeur au partage sera réévaluée à la hausse s’il est survenu des dégradations résultant d’une gestion négligente ou fautive. Elle sera réévaluée à la baisse en cas d’améliorations provoquées par une bonne gestion.
Au contraire, les modifications de l’état du bien résultant d’une cause fortuite à la chose ne seront pas comptabilisées.
Cette ventilation, peut dans bien des cas, s’avérer difficile à réaliser. Il convient ici de se rapporter à ce qui a été dit pour les règles sur le rapport.

L’hypothèse de l’aliénation du bien

En pareille situation, l’indemnité de réduction se calcule, comme l’indemnité de rapport, c’est à dire soit en considération de la valeur qu’il avait au jour de l’aliénation, soit, un nouveau bien s’y est subrogé, en considération de la valeur du nouveau bien (au jour du partage, peu important donc le jour du décès).
Il y a lieu, là encore, de tenir compte de l’existence ou non d’un remploi.
Précisions :
-lorsque le bien donné a porté sur des sommes d’argent qui ont servi à acquérir un bien, la subrogation joue comme dans le cas du remploi en cas d’aliénation du bien donné : l’indemnité est égale à la valeur du bien acquis pour toute les sommes d’argent données ont servi à l’acquisition.
-la subrogation est écartée lors que les deniers donnés (ou provenant de l’aliénation du bien donné) a servi à acquérir un bien de consommation.

1.b)  Le règlement de l’indemnité

Dès qu’elle est liquidée, l’indemnité de réduction  doit être réglée.
S’il le peut, elle est réglée en moins-prenant par le gratifié. Lorsque ce mode de règlement est exclu, le débiteur de l’indemnité de réduction se règle en numéraire.

Le règlement en moins prenant

Lorsque le gratifié est également héritier débiteur d’une indemnité de réduction, celui-ci peut s’affranchir de verser dans la masse à partager la somme liquidée : il prend à due concurrence moins que ses cohéritiers. Le règlement est compris dans le partage.
Les avantages du règlement en moins prenant sont les suivants : il réduit le risque d’insolvabilité. Il permet aux cohéritiers de prendre davantage sur les biens existants.
Le règlement en moins prenant supposant que le débiteur dispose de droits dans la masse à partage, il ne se conçoit dès lors que dans l’hypothèse est un héritier réservataire.
Ce mode de règlement ne peut également avoir lieu qu’à concurrence de ses droits dans la masse à partager.  Si l’indemnité est supérieure, le débiteur est contraint de régler l’excédent en numéraire.
Comme en matière de rapport, le règlement en moins prenant s’impose à l’héritier réservataire.
Le moins prenant peut, identique aux règles du rapport, s’exécuter par la technique du prélèvement ou celle de l’imputation.

Le règlement en numéraire 

Le paiement en numéraire se substitue (ou complète) le règlement en moins prenant lorsque le redevable de l’indemnité de réduction n’a pas de droits dans la masse à partager ou n’a que des droits inférieurs au montant dont il est redevable/
L’article 924-3 alinéa 1er du code civil dispose que l’indemnité de réduction est payable au moment du partage.
Elle est donc payable comptant et est immédiatement exigible sauf exceptions.
Ainsi, si le légataire ne la paie pas, les héritiers réservataires peuvent retenir la chose léguée (droit de rétention de l’article 2286, 2° qui prévoit que peut se prévaloir d’un droit de rétention sur la chose, celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer).
Inversement, le débiteur de l’indemnité de réduction ne peut intervenir avant le partage. Si le gratifié ne vient pas au partage, il doit régler l’indemnité de réduction au jour où l’indemnité est liquidée (l’exigibilité peut donc être antérieur à un acte de partage).
Les exceptions :

Un délai de paiement peut, aux termes de l’article 924-3 du Code civil, être accordé :

- soit par les réservataires (les conditions du crédit sont librement déterminées par les intéressés) ;
- soit parce que le disposant l’a prévu (soit dans la libéralité elle-même soit postérieurement, peu important la forme de l’acte) ou encore par décision du juge (qui dispose d’un pouvoir d’appréciation). Toutefois il ne peut être imposé aux réservataires que si la libéralité porte sur un bien susceptible d’attribution préférentielle (logement du gratifié ou une entreprise). La durée maximale est ici la dixième année suivant l’ouverture de la succession (décès).

Pour se prémunir du risque d’une érosion monétaire, le législateur a prévu que l’indemnité est soumis au régime de l’indexation (identique à la soulte).
Pour se prémunir également de circonstances économiques particulières, il est encore prévu que si la valeur du bien donné ou légué de plus du quart depuis le partage, la somme restant due augmente ou diminue dans la même proportion.
Encore, le gratifié d’un bien immobilier accorde aux réservataires, le privilège de copartageant (article 2774-3°).
Enfin en cas de vente du bien donné ou légué, les réservataires bénéficient d’une déchéance du terme : si la vente porte sur le bien en son entier, la déchéance atteint l’intégralité des sommes restant dues par le débiteur de l’indemnité. Lorsque la vente n’est que partielle, la déchéance est limitée au produit de celle-ci (article 924-3 al. 3 du Code civil)

2. Conséquences de la réduction en nature

Lorsque la réduction en nature a lieu, le bien objet de la réduction est inscrit dans la masse partageable de façon à reconstituer la réserve, soit partiellement soit totalement, en fonction de la portion réductible.
Lorsqu’il s’agit d’un legs, les héritiers conservent le bien à concurrence de la fraction réductible, le légataire ne pouvant le réclamer.  Le legs est caduc dans la limite de la portion excessive.
Lorsqu’il s’agit d’une donation, les héritiers sont légalement investis du pouvoir de récupérer le bien, le légataire étant tenu de le restituer. A concurrence de la fraction réductible, la donation est résolue.
Qu’advient-il lorsque le donataire (l’hypothèse la plus courante) a consenti des droits ?

2.a) A l’égard du gratifié

La résolution ou la caducité de l’effet translatif attachée à la libéralité peut conduire à des situations diverses, qui dépend de l’étendue de la réduction et de la qualité du gratifié.
En cas de réduction totale : le gratifié (pris en cette qualité) n’a plus aucun droit sur le bien. Toutefois, s’il dispose également de la qualité d’héritier réservataire, il possède des droits à ce titre car le bien fait partir de la masse partageable (il pourra même en être alloti par l’effet du partage).
En cas de réduction partielle : il conserve ses droits sur la fraction non réduite, la quote-part objet de la réduction étant inscrite dans la masse partageable. Le bien est ici en indivision entre le gratifié et les héritiers réservataires. (s’il y a plusieurs réservataires, se juxtaposent deux indivisions distinctes). Dès lors, afin de déterminer les droits du gratifié dans le bien, il y a lieu de distinguer suivant qu’il a ou non la qualité de réservataire :

-lorsqu’il n’est pas réservataire : la fraction non réductible fixe l’étendue de ses droits ;
-lorsqu’il est réservataire : il y a lieu d’ajouter à cette quotité, ses droits dans la masse.

De toute façon, si le bien ne peut être divisé (matériellement), il sera licité et le prix d’adjudication sera distribué à concurrence des droits de chacun. Si la nature du bien permet d’envisager un morcellement, il fera l’objet d’une division.

Le même raisonnement vaut pour le légataire universel ou à titre universel en cas de réduction partielle : il existera une indivision entre lui et les héritiers réservataires, mais les droits indivis se mesureront non pas au regard du bien objet de la réduction mais dans la masse des biens existants au décès. L’allotissement des différents biens composant la masse partageable aura lieu entre les coindivisaires (héritiers réservataire et légataire à titre universel/universel). Le légataire ne dispose d’aucun droit  à faire valoir sur un bien particulier.

Bien qu’il n’existe aucun texte spécifique prévoyant le règlement de d’indemnités en cas de réduction en nature (contrairement aux règles régissant le rapport), la réduction en nature a pour effet d’aboutir à l’inscription d’un compte au titre des améliorations ou dégradations résultant du fait du gratifié : ce dernier doit être indemnisé des améliorations qui lui sont imputables et doit répondre des dégradations résultant de son fait (ceci ne concerne dans la plupart du temps que les donataires, lesquels ont pu entrer en jouissance du bien avant le décès du gratifié).
S’agissant du règlement du solde du compte, le donataire ne peut s’en acquitter en moins prenant qu’il s’il vient à la succession (le donataire a toujours cette qualité pour le rapport, exception faite du renonçant tenu malgré tout au rapport mais non le donataire qui doit la réduction). S’il n’est pas successeur, il ne peut venir au partage et devra s’acquitter de sa dette en numéraire. S’il est créancier du solde, il pourra exercer un droit de rétention.

2.b)A l’encontre des ayants cause du gratifié

Lorsque le bien a été aliéné (tiers acquéreur), la réduction en nature ne joue que selon les conditions et les effets prévus à l’article 924-4 du Code civil.
Lorsqu’il existe d’autres ayants cause : c’est l’hypothèse où la gratifié a consenti un droit réel (usufruit, bail à construction ou hypothèque) ou un droit personnel d’occupation (bail). Dans cette situation, la réduction en nature ne peut être due que par le jeu d’une stipulation de la libéralité, la gratifié n’ayant ii pas la possibilité de choisir la réduction en nature. Ici, les droits que le gratifié a consenti sont anéantis, sous réserve des tempéraments suivants (sécurité juridique des tiers) :

  • Les actes d’administration sont maintenus, plus largement tous les baux (même ceux qui sont traditionnellement analysés comme des actes de disposition)
  • L’article 2276 peut protéger certains tiers  ayant acquis de bonne foi ledit droit réel sur le meuble donné ou légué
  • Si la réduction n‘est que partielle ou si le gratifié a également la qualité de réservataire, l’allotissement du bien objet de la réduction lors du partage consolide les droits réels antérieurement consentis au bénéfice des tiers.
  • Lorsque le donateur et les héritiers réservataires ont consenti à la constitution des droits réels conformément aux dispositions de l’article 924-4 du Code civil.

2.c) Les fruits et intérêts

En ce qui concerne les fruits (article 928 du Code civil) : si la réduction a lieu en valeur ou en nature, le donataire doit restituer les fruits à compter du décès s’il en fait la demande dans l’année du décès. A défaut, à compter de la demande en réduction. (en cas de réduction en valeur, la restitution s’opère, comme pour le capital, par équivalent)
En ce qui concerne les intérêts (article 924-3 du Code civil) : l’indemnité de réduction est productive d’intérêts au taux légal à compter de la date à laquelle le montant de l’indemnité de réduction a été fixée (voir les règles du rapport) , étant rappelé que le gratifié ne peut devoir à la fois les fruits du bien donné et les intérêts de l’indemnité de réduction.

LA DEMANDE EN RÉDUCTION

Contrairement au rapport successoral, la réduction ne s’applique pas de manière automatique suite à l’ouverture d’une succession (décès) et ne rend pas nécessairement le gratifié débiteur de l’indemnité de réduction (ou encore à restituer en nature le bien).
Le législateur a en effet précisé que :

A l’article 920 du Code civil qu’une « libéralité excessive est réductible » ou à l’article 919-2 du même code que « l’excédent est sujet à réduction ».

Autrement dit, la réduction suppose une demande.
Les réservataires doivent ainsi, dans le cas d’une donation, prendre l’initiative d’une demande en réduction pour obtenir restitution (en argent ou en nature) de la portion excessive ayant entamé leur réserve.
Lorsque la libéralité sujette à réduction porte sur un bien légué, la libéralité n’ayant en principe pas été exécutée, ils n’ont aucune initiative à prendre, c’est lorsque le gratifié demande la délivrance du legs ou son paiement que les réservataires font une demande reconventionnelle ou opposent l’exception de réduction. (Lorsque le légataire est déjà entrée en possession du ou des biens légués – sans que les réservataires aient pour autant renoncé à la réduction – la demande st formulée est formulée à titre principale par les concernés).
A l’évidence, le droit à demander la réduction n’appartient pas au défunt.
Seuls les personnes suivantes sont admises à demander la réduction :

  • Les héritiers réservataires à condition qu’ils acceptent la succession (purement et simplement ou à concurrence de l’actif net). Ils peuvent le faire de manière collective ou individuellement. Si certains n’entendent pas faire jouer la réduction à leur égard, la libéralité n’est réduite que dans la portion nécessaire pour remplir la réserve des héritiers réservataires en ayant fait la demande.

L’article 921 du Code civil énonce que sont considérés comme titulaire de l’action en réduction les propres  héritiers ou ayants cause du réservataire, c’est à dire ses héritiers ab intestat, ses légataires ou institués contractuels, ses cessionnaires de droits successifs ainsi que ses créanciers dans le cadre d’une action oblique.

Lorsque les héritiers réservataires exigent la réduction, il exercent normalement un droit qui leur est propre (ce droit n’est pas un droit qu’ils tiennent du défunt puisque ce dernier n’est pas fondé à en faire la demande). Ils sont donc admis à prouver par tous moyens l’existence d’une  libéralité et aucune exception du chef du défunt ne saurait leur être opposée.

Les héritiers non réservataires ne sauraient demander la réduction ni même en profiter.

  • Les gratifiés ne peuvent provoquer la réduction ni même s’en prévaloir par une disposition du code civil.

Toutefois, ils sont fondés à exiger le respect de l’ordre légal de réduction. Ainsi un donataire peut opposer aux réservataires, l’existence d’une donation postérieure (non prise en compte) à la sienne susceptible de modifier l’ordre légal d’imputation et la réductibilité de sa libéralité. Egalement le légataire universel qui a subi la réduction de sa libéralité et en a obtenu délivrance peut imposer aux légataires particuliers la réduction proportionnelle d’autres legs consentis à titre particulier, qui lui ont demandé délivrance.

  • Les créanciers successoraux, assimilés aux gratifiés (article 921 code civil), ne peuvent demander la réduction ni en profiter. Ils disposent néanmoins d’une action paulienne - en cas de fraude –contre les libéralités leur portant préjudice.

Néanmoins, il y a eu lieu de relativiser cette règle : s’agissant des biens légués, ceux-ci font partie des biens existants au décès et demeurent soumis au gage des créanciers. Ils doivent demander paiement avant le paiement des legs, ce que le notaire tente habituellement de respecter lors du règlement de la succession. S’agissant des donations, si la succession n’est acceptée qu’à concurrence de l’actif net, leur droit de gage sera limitée à l’actif successoral. Si les héritiers acceptent purement et simplement la succession, les créanciers successoraux deviendront créanciers personnels et pourront donc demander la réduction dans le cadre d’une action oblique.

La demande en réduction est soumise à la prescription : la demande formée tardivement a pour effet d’éteindre le droit. Depuis la loi du 23 juin 2006 (entrée en vigueur pour les successions ouvertes au 1er janvier 2007), l’action doit être intentée dans les cinq ans du décès. Passé ce délai, elle n’est recevable que dans un délai de deux années suivant la découverte de l’atteinte à la réserve sans que cette durée ne puisse excéder un délai de dix ans à compter du décès.

Si la demande en réduction n’est pas intervenue dans un délai de dix ans, sauf cause(s) d’interruption ou de suspension, l’action est prescrite (article 921).
S’agissant des libéralités-partages (donations-partages / testaments-partages), le délai est fixé à cinq ans mais n’exclut pas le délai de droit commun susvisé de dix ans.
Il n’est pas possible pour le donataire d’invoquer la prescription acquisitive pour s’opposer à la réduction.

L’extinction du droit de demander la réduction peut également résulter d’une renonciation du réservataire. Cette renonciation est admise et n’est soumise à aucune forme lorsqu’elle est donnée après l’ouverture de la succession.
Ainsi, elle peut résulter d’un accord entre le disposant et le réservataire ou résulter de la volonté unilatérale de ce dernier. Concernant le legs, il est donné par le réservataire au notaire en charge de la succession, un consentement à l’exécution.
La renonciation a réduction est susceptible d’être accordée de manière partielle, à hauteur d’une certaine quotité de la portion réductible ou encore accepter une réduction en valeur alors qu’une réduction en nature était imposée par le disposant.
L’héritier réservataire incapable souhaitant renoncer à la réduction doit être autorisé ou assisté suivant les cas par son représentant légal.
Il est également précisé les cas spécifiques suivants :

    • une renonciation peut être attaquée, en cas de fraude, par les propres créanciers du renonçant par la voie de l’action paulienne.
    • Les propres héritiers réservataires du renonçant (décédé) peuvent contester la renonciation pour atteinte à leur réserve personnelle  s’ils est établi l’existence d’une donation indirecte au bénéficiaire indirect de la renonciation (par voie d’action ou par le biais d’une action en inopposabilité fondée sur la fraude).

La renonciation peut être expresse ou tacite. Lorsqu’elle est tacite, il faut qu’elle soit certaine (la renonciation ne se présumant pas).

Avant l’ouverture de la succession, il est encore permis aux héritiers réservataires de renoncer de manière anticipée à l’action en réduction (RAAR). Il s’agit d’une innovation de la loi du 23 juin 2006,dont le régime juridique est strictement encadrée par les articles 929 à 930-5 du Code civil.

 

Maître Romain JIMENEZ-MONTES est Avocat inscrit au barreau d'Aix-en-Provence (58 cours Sextius, 13100) depuis 2012 et concentre son activité professionnelle uniquement en droit des successions et droit immobilier.

 

Avocat associé de la A.A.R.P.I. CRJ AVOCATS

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