La possibilité offerte à certains héritiers de pouvoir invoquer, au cours d’une procédure en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage d’une succession, une attribution préférentielle peut être, en certains cas, un moyen d’anticiper sur le partage à venir des biens du défunt.
Étant considéré comme une modalité de partage et permettant à celui qui l’invoque de se voir potentiellement attribuer un ou plusieurs bien par préférence aux autres, l’attribution préférentielle par le juge (qu’elle soit de plein droit ou non) suppose avant tout, une situation d’indivision, c’est à dire la situation où plusieurs personnes, qualifiées d’indivisaires, exercent de manière concurrente des droits de même nature sur un même bien (ou sur une masse de biens).
Et l’existence d’une succession, quand bien même viendraient en concurrence plusieurs héritiers, n’emporte pas toujours l’existence d’une indivision successorale…
C’est ainsi que la Cour de cassation a récemment rappelé que le partage judiciaire ne peut être sollicité par un héritier à l’encontre du conjoint survivant séparé de biens lorsque ce dernier a opté pour l’usufruit de la totalité de la succession, seule une situation de démembrement de propriété existant en pareille hypothèse (Cour cass., 1ère, 9 septembre 2015, n°14-18906). Les juges du fond et la Cour de cassation veillent donc scrupuleusement au respect de l’existence d’une indivision successorale.
L’arrêt commenté invitait à réfléchir quant à l’incidence de l’exercice d’une action en réduction soulevée par l’héritier réservataire sur la demande d’attribution préférentielle de biens à l’occasion d’une demande d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage d’une succession.
L’héritier réservataire pouvait-t-il donc en l’espèce solliciter, à l’encontre du légataire universel, au moyen de l’exercice de son action en réduction, l’attribution préférentielle de plusieurs parcelles dépendant de l’actif successoral ?
La situation de l’espèce était à dire vrai assez banal, une personne avait laissé pour lui succéder son fils unique, héritier réservataire, ainsi que son neveu institué légataire universel par l’effet d’un testament olographe dont la validité n’était pas contestée.
Néanmoins, pour pouvoir répondre à la question juridique posée, il est nécessaire de rappeler certaines notions biens connues en droit des successions :
Aux termes de l’article 912 du Code civil, « La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. »
En d’autres termes, il s’agit de la quote-part de biens et droits successoraux dont le défunt ne peut disposer librement à titre gratuit que ce soit entre vifs ou à cause de mort, en présence d’héritiers réservataires.
La quotité disponible est au contraire « la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ».
Ainsi, lorsque le défunt a disposé de ses biens au-delà de la quotité disponible, par des libéralités entre vifs (donation) ou à cause de mort (legs), l’héritier réservataire dispose de la faculté d’invoquer le bénéfice de l’action en réduction, dont on sait que celle-ci est soumise à un délai de prescription dont le point de départ est aujourd’hui glissant (cf. article 921 alinéa 2 du Code civil).
Par ailleurs, l’article 1009 du Code civil précise notamment que le légataire universel est “tenu d’acquitter tous les legs, sauf le cas de réduction ainsi qu’il est expliqué aux articles 926 et 927”, disposition qui est justifiée par le respect de la réserve héréditaire.
La réduction est, rappelons-le, le droit qui permet aux héritiers réservataires (enfants ou conjoint survivant) de protéger leur réserve héréditaire contre les libéralités faites par le défunt excédant la quotité disponible.
L’action en réduction n’est toutefois qu’une possibilité pour les héritiers réservataires et doit être demandée, à défaut d’accord, devant le Juge. Si la réduction n’est pas invoquée, le gratifié, donataire ou légataire, peut donc recevoir des biens venant entamer la réserve globale des héritiers.
Et depuis la loi n°2006-728 du 23 juin 2006, l’action en réduction par un héritier réservataire porte sur une réduction en valeur. Subsidiairement, celle-ci s’exécute en nature (solution contraire aux règles posées antérieurement par le Code civil).
Ainsi, lorsqu’une libéralité est réductible et que le réservataire invoque la réduction, le bénéficiaire de la libéralité doit à l’héritier réservataire une indemnité dite de réduction, évaluée par une somme d’argent et déterminée en principe lors des opérations comptables réalisées par l Notaire.
L’héritier réservataire avait, dans la présente situation, invoqué le bénéfice de la réduction du legs consenti par son père au profit du neveu (la quotité de la réserve était ici de la moitié de la succession) et avait invoqué devant le juge, l’attribution préférentielle de plusieurs parcelles de terres, invoquant le fait qu’il existait des droits concurrents de même nature entre lui et le légataire universel, c’est à dire une situation d’indivision.
La Cour d’appel de Pau avait rejeté la demande d’attribution préférentielle invoquée par l’héritier réservataire, les juges du fond précisant qu’il n’existait ici aucune situation d’indivision.
L’arrêt rendu le 11 mai 2016 par la Cour de cassation et destiné à une large publication conforte la solution prononcée par les juges d’appel et rejette fort logiquement le pourvoi.
Le raisonnement adopté par les Hauts magistrats est dépourvu d’équivoque : « Mais attendu qu’il résulte des articles 924 et suivants du code civil qu’en principe, le legs est réductible en valeur et non en nature, de sorte qu’il n’existe aucune indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire ».
En l’espèce, le légataire universel avait ici droit à l’entière succession du défunt (l’ensemble des biens existants) par l’exécution de la libéralité, sous réserve de l’exercice de l’action en réduction de l’héritier réservataire.
Ce dernier ayant invoqué conformément à ses droits, la réduction du legs, celui-ci ne pouvait que prétendre à une indemnité de réduction, déterminée en valeur.
Cette circonstance excluant l’existence d’une indivision, les Hauts Magistrats ne pouvaient donc que débouter l’héritier réservataire de sa demande d’attribution préférentielle ainsi que de sa demande de licitation judiciaire des biens immobiliers.
Références : Cass., 1ère, 11 mai 2016, n°14-16967, Bulletin.