A la suite de l’ouverture d’une succession, se pose assez fréquemment la question du rapport des libéralités qui auraient pu être consenties par le défunt au profit d’un ou plusieurs cohéritiers.
Le rapport consiste pour l’héritier qui vient avec d’autres héritiers à la succession du défunt, à remettre dans la masse successorale les biens dont le défunt l’avait gratifié. Depuis la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, le rapport s’effectue prioritairement en valeur.
L’institution du rapport des libéralités en droit français a pour finalité d’assurer l’égalité du partage entre les cohéritiers.
Ainsi, le ou les héritiers qui auraient reçu une libéralité doivent, en principe, déclarer à leurs cohéritiers ainsi qu’au Notaire en charge du règlement de la succession, les libéralités reçues par eux, ceci afin d’éviter l’écueil d’un possible recel successoral. (NB : A noter cependant qu’une libéralité non rapportable et non réductible n’a pas à être déclarée et ne peut donc faire l’objet d’un recel successoral).
Pour autant, toutes libéralités ne sont pas soumises au rapport successoral. Quelles sont donc les libéralités soumises aux règles du rapport ?
Sont ainsi rapportables : toute les donations en avancement de part successorale (non stipulée hors part successorale), donations déguisées, donations indirectes, dons manuels. Dans certaines conditions, les avantages indirects peuvent également faire l’objet d’un rapport (Cass., civ. 1ère, 18 janvier 2012, n°11-12.863, n°07-72.542, n°10-25.685, n°10-27.325).
Au contraire, les libéralités consenties ‘hors part successorale’ (anciennement appelée ‘donation par préciput’) ne sont pas soumises aux règles du rapport. Ceci suppose donc qu’un acte de donation ait été expressément stipulé comme n’étant pas rapportable à la succession.
Échappent également aux règles du rapport : les ‘présents d’usage’ ou encore les fruits et intérêts de choses reçues par donation ( jusqu’au jour du décès).
Par ailleurs, les legs ne sont en principe pas rapportables à la succession du défunt, sauf clause du testament prévoyant expressément que le rapport sera dû par le légataire (ce qui est assez peu fréquent).
Une fois déterminée(s) la ou les libéralité(s) rapportable(s), vient la question de l’évaluation du montant du rapport. A cet effet, il faut se référer aux règles prévues par le Code civil aux articles 860 et suivants.
Selon l’article 860 alinéa 1er, « Le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation ».
Toutefois, les règles prévues par le Code civil ne sont pas d’ordre public (contrairement aux règles relatives à la détermination de la quotité disponible et de la réserve héréditaire) et le donateur peut donc stipuler une clause dérogeant aux règles légales d’évaluation du rapport.
Lorsque les héritiers ne parviennent pas à régler amiablement la question du montant du rapport des libéralités devant le Notaire amiable chargé du règlement de la succession, l’un ou plusieurs héritiers indivisaires n’ont d’autre choix que de saisir le Tribunal puisque aucun acte partage ne peut être signé.
La demande judiciaire porte donc sur la fixation par le Tribunal du montant du rapport des libéralités et sur lesquelles il existe assez fréquemment des difficultés entre les héritiers. Dans la plupart des cas, les difficultés portent soit sur des immeubles donnés (à une époque plus ou moins ancienne) sur lesquels ont été par la suite réalisés des travaux par le donataire (en pareil cas une expertise est largement employée pour dégager le montant exact du rapport dû). Les difficultés peuvent également se rencontrer en matière de donations portant sur des parts sociales de sociétés…
En l’espèce, le fond du problème touchait au rapport d’un ‘avantage indirect’.
La situation était la suivante : deux époux avaient consenti à leurs deux enfants une donation à titre de partage anticipé de plusieurs immeubles. Au décès du conjoint survivant, le fils avait sollicité le rapport à la succession de sa mère de la valeur de la jouissance gratuite par sa sœur de l’un des biens donnés, dont les donateurs s’étaient réservés l’usufruit.
Par un arrêt du 10 juin 2015, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait rejeté la demande en rapport formulée par le fils. Toutefois, la Cour d’appel s’était concentrée sur les différents arguments touchant au rapport d’une libéralité portant sur un acte de donation-partage : démonstration de l’existence d’une intention libérale permettant le rapport de l’avantage indirect, évaluation du rapport non justifié par le demandeur, etc..).
La particularité de l’espèce était ici que l’héritier qui sollicitait le rapport n’avait concurremment à sa demande en rapport, fait aucune demande en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de sa mère.
Débouté en appel, l’héritier formait pourvoi devant la Cour de cassation.
Sans analyser aucunes des différentes branches du moyen invoqué par le demandeur au pourvoi, la Haute cour rejette le recours formulé par le fils en jugeant que : « les juges du fond n’ayant pas été saisis d’une demande tendant à la liquidation et au partage de la succession d’Antoinette Y…, les demandes de M. X… ne pouvaient qu’être écartées ; que le moyen est inopérant ; »
Autrement dit, tant le premier juge que les juges d’appel avaient omis de constater et d’analyser les conséquences de l’absence de demande, par l’un ou l’autre des héritiers, d’ouverture judiciaire des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de la défunte (donatrice) sur la demande en rapport.
La solution de la Cour de cassation ne peut être qu’approuvée.
Comment statuer sur une demande en rapport d’une libéralité (ou d’un avantage indirect en l’espèce) alors même que la demande portant sur la liquidation et le partage de la succession n’a pas été sollicitée judiciairement ?
Pourtant, et à considérer qu’il ait été oublié en première instance de solliciter l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage successoral (dans la succession du défunt où il est réclamé un rapport), celle-ci aurait très vraisemblablement pu encore formulée au stade de l’appel, les parties ayant, en matière de partage, à la fois la qualité de demandeur et défendeur, situation de nature à faire échec à toute irrecevabilité fondée sur la prohibition des demandes nouvelles en cause d’appel (cf. articles 564 et suivants du Code de procédure civile).
La prudence invite les héritiers souhaitant notamment régler la question du rapport successoral, de recourir à un avocat maîtrisant particulièrement les enjeux et pièges liés à cette matière.
Référence : Cass., civ., 1ère, 4 janvier 2017, n°15-26827, Bulletin. (lien legifrance)