Le legs par un associé d’un bien dépendant de l’actif social est nul (Cass. civ. 1ère, 15 mai 2018, n°14-11.123)
18 septembre 2018
L’existence d’un partage amiable sur la totalité des biens successoraux exclut toute demande en partage judiciaire mais ouvre seulement droit au cohéritier d’introduire une action en nullité du partage ou une action en complément de part (Cass. civ. 1ère, 6 novembre 2019, n°18-24.332).
11 décembre 2019
Voir tout

Donation et clause dérogeant aux règles légales d’évaluation du rapport : l’avantage indirect né d’une telle stipulation ne peut être soumis au rapport successoral mais seulement à une réduction si celui-ci excède la quotité disponible (Cass. civ. 1ère, 5 décembre 2018, n°17-27982, Bulletin)

Cet arrêt prononcé le 5 décembre 2018 par la Cour de cassation est révélateur des difficultés et confusions habituellement rencontrées en droit des successions sur le domaine d’application que revêtent les notions de rapport et de réduction des libéralités.

Quand bien même cette décision a été rendue sous l’empire de dispositions antérieures à la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, la solution dégagée par la Cour suprême demeure encore d’actualité suite à la réforme des succession et sera donc l’objet d’une large diffusion.

En l’espèce, la défunte avait laissé à sa succession, deux héritiers réservataires (sa fille et son petit-fils venant par représentation de son père prédécédé). De son vivant, celle-ci avait consenti au profit de sa fille, une donation portant sur la nue-propriété d’un immeuble. La particularité des faits de l’espèce était que l’acte notarié comprenait une clause dérogeant aux règles légales du rapport à la succession : ici, le rapport de l’immeuble donné était forfaitairement évalué pour sa valeur au jour de l’acte de donation.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie d’une demande d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de la défunte, était également invitée à se prononcer sur l’incidence, au plan liquidatif, de la donation faite par la défunte au profit de sa fille.

L’arrêt d’appel rendu le 24 mai 2017, statuant sur une demande de rapport formulée par le petit-fils (venant par représentation de son père prédécédé), avait pu énoncer que sa cohéritière devait « rapporter à la succession la valeur du bien immobilier au jour de la donation comme stipulé à l’acte qui s’imputera sur sa réserve héréditaire, et qu’elle doit également rapporter, à titre préciputaire, pour le surplus, la différence que constitue la valeur du bien au jour de la donation et celle au moment de l’ouverture de la succession, qui constitue un avantage indirect qui s’imputera sur la quotité disponible avec réduction dans les termes de l’article 922 du code civil dans l’hypothèse où il empiète sur la réserve » du petit-fils.

L’arrêt était inévitablement promis à une censure (partielle) de la Cour de cassation.

Le droit des successions invite en effet à distinguer entre deux mécanismes que sont le rapport et la réduction, lesquels ont chacun un domaine et une finalité qui leur sont propres.

Si le rapport successoral tend à préserver l’égalité entre les cohéritiers lors du partage, l’action en réduction a pour unique fonction de protéger la réserve personnelle des héritiers réservataires (rappelons à ce propos que selon les articles 913 et suivants du code civil, la qualité de réservataire appartient en premier lieu les descendants venant personnellement à la succession ou y étant représentés. En l’absence de descendant, le conjoint survivant acquiert la qualité de réservataire), si du moins ceux-ci en font la demande dans les délais prescrits par l’article 921 alinéa 2 du code civil.

Afin de vérifier l’atteinte ou non de la réserve héréditaire, il y a lieu – après évaluation des biens existants au décès et après déduction des dettes successorales – de procéder à la réunion fictive de toutes les donations faites par le défunt (évaluées au jour du décès selon leur état au jour de la donation, sauf le cas spécifique des donations-partages répondant aux règles fixées par l‘article 1078 du code civil). Cette opération a lieu quelle que soit la donation (donation faite par acte notarié, dons manuels, donation déguisée, donation indirecte, donation-partage) et il s’agit d’une règle d’ordre public excluant toute dérogation conventionnelle.

Au contraire, le rapport d’une donation (en dépit même de l’existence d’une présomption légale d’obligation au rapport) n’a pas nécessairement vocation à s’appliquer lors des opérations de partage.

Le législateur a exclu, à l’article 1078-4 du code civil, tout rapport pour les donations-partages (en raison du partage anticipé de la succession réalisé par cette libéralité-partage).

Le législateur considère également que le rapport n’est pas d’ordre public. Ainsi, les libéralités dites « par préciput et hors part » (aujourd’hui ‘hors part successorale’) ne sont pas soumises au rapport, puisque le donateur a volontairement dispensé, par une telle stipulation, le gratifié de tout rapport à sa succession. Néanmoins, de telles libéralités demeurent sujettes au risque de la réduction si, après opérations d’imputation, l’une ou plusieurs d’entre elles entament, en tout ou partie, la quotité disponible. Également, les parties ont la faculté de volontairement déroger aux règles légales d’évaluation du rapport visées aux articles 860 et suivants du Code civil en prévoyant :

  • soit le rapport pour une somme forfaitaire ;
  • soit un rapport égal à la valeur du bien au jour de la donation.

La présente espèce se concentrait ici sur la dernière hypothèse : Les juges du fond devaient s’interroger sur les incidences liquidatives (rapport et réduction) de la donation en nue-propriété de l’immeuble faite par la défunte au profit de la fille qui prévoyait dans l’une de ses clauses un rapport égal à la valeur du bien au jour de la donation.

Appliquant la solution dégagée depuis plusieurs décennies par plusieurs arrêts de la Cour de cassation, une telle libéralité avait tout d’abord été considérée par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence comme étant rapportable à hauteur de la valeur du bien donné stipulée dans l’acte. S’agissant du calcul de la quotité disponible et de la réserve héréditaire, opérations préalables indispensables pour fonder une action en réduction, les juges du fond avait jugé que la valeur rapportable stipulée dans l’acte de donation devait s’imputer sur la réserve personnelle de la gratifiée. Ceci était jusqu’ici exempt de tout reproche. Ensuite, la Cour d’appel devait se prononcer sur l’existence ou non d’un avantage indirect pouvant résulter de la différence entre la valeur fixée dans l’acte de la donation et la valeur réelle du bien donné au jour de l’ouverture de la succession. Lorsque cet avantage existe, celui-ci est considéré comme étant une donation ‘préciputaire’, c’est à dire non rapportable à la succession.

En d’autres termes, l’avantage indirect – résultant de la clause dérogeant aux règles légales du rapport – a pour effet de rompre l’égalité avec le ou les cohéritiers au moment du partage (sauf à ce que ces derniers aient également été avantagés en ayant reçu, eux-aussi, un libéralité préciputaire ou encore d’une donation contenant également clause dérogeant aux règles légales d’évaluation du rapport).

Néanmoins, l’avantage procuré ne saurait permettre au gratifié de porter atteinte à la réserve personnelle des autres réservataires. Pour cette raison, et quand bien même l’avantage est ‘préciputaire’, il y a tout de même lieu de contrôler si celui-ci excède ou non (en tout ou partie) la quotité disponible que le défunt pouvait librement disposer au profit d’un héritier ou d’un tiers.

Sur un plan liquidatif, la donation ‘préciputaire’ (au contraire d’une simple donation) s’impute nécessairement sur la quotité disponible, ce qui peut aboutir à un dépassement de celle-ci et fonder une action en réduction pour l’excédent.

La confusion opérée par les juges d’appel était ici évidente et ce que ces derniers avaient soumis au rapport successoral l’avantage indirect. Il était pour le moins paradoxal de qualifier l’avantage indirect de ‘préciputaire’ tout en le soumettant aux règles du rapport !

Comme le souligne la Cour de cassation, l’avantage indirect ne pouvait donner lieu qu’à réduction (totale ou partielle) si, dans le cadre des opérations de liquidation et après imputation de toutes les libéralités consenties par le défunt, il venait à être constaté un dépassement de la quotité disponible.

Le rapport est une chose, la réduction en est une autre…

Réfs. : Cass. civ. 1ère, 5 décembre 2018, n°17-27982, à paraître au Bulletin. (lien legifrance)