La demande judiciaire formée par un héritier ayant pour objet le rapport d’une libéralité nécessite, pour être examinée, que soit également demandée l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession (Cass., civ., 1ère, 4 janvier 2017, n°15-26.827)
16 janvier 2017
Le recel portant sur des fonds issus de la communauté exclut le recel successoral (Cass., 1ère civ., 27 septembre 2017, n°16-22150)
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Le rapport des libéralités n’est dû que par les héritiers ab intestat (Cass. civ., 1ère, 8 mars 2017, n°16-10384)

Par un arrêt du 8 mars 2017, la Cour de cassation rappelle aux juges du fond l’une des conditions essentielles du rapport des libéralités suite à l’ouverture d’une succession.

Une dame désigne de son vivant, en tant que bénéficiaires d’une assurance-vie, deux de ses petits-enfants. A son décès, elle laisse à sa succession ses deux fils, qui viennent tous deux en qualité d’héritiers (réservataires).

L’un des fils découvre l’existence d’un contrat d’assurance-vie (en principe hors succession) désignant comme bénéficiaire ses neveu et nièce. Finalement, le fils vient à solliciter le partage judiciaire de la succession de sa mère et à ce que les primes versées par sa mère au titre du contrat d’assurance-vie soient considérées comme étant manifestement exagérées, de façon à obtenir le rapport des primes versées par les bénéficiaires (neveu et nièce).

La Cour d’appel fait droit à la demande de l’héritier demandeur et reconnaît l’existence de libéralités faites au profit des petits-enfants, en appliquant les critères habituels permettant la requalification en libéralité. Plus étonnamment, la Cour d’appel de Papeete ordonne le rapport à la succession des primes versées sur le fondement de l’ancien article 843 du Code civil en vigueur avant la réforme des successions et des libéralités fixée par la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 (cette loi est entrée en vigueur pour de nombreuses dispositions aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007).

L’article 843 du code civil applicable aux faits de l’espèce prévoyait que « Tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part, ou avec dispense de rapport. (…) ».

Les deux petits-enfants et leur père forment un pourvoi devant la Cour de cassation, soutenant très logiquement que la Cour ne pouvait prononcer le rapport à la succession des primes manifestement exagérées, les petits-enfants n’ayant pas la qualité d’héritier ab intestat.

La Cour de cassation casse et annule sèchement l’arrêt d’appel rappelant aux juges du fond que le rapport des libéralités à la succession n’est dû que par les héritiers ab intestat.

Le moyen du pourvoi ne tentait ici nullement de remettre en cause l’appréciation faite par les juges du fond sur le caractère manifestement exagéré des primes versées par la défunte, dont on sait que la Cour de cassation exerce un contrôle restreint. Les demandeurs au pourvoi critiquaient  principalement que l’arrêt de la Cour d’appel ait pu ordonner le rapport des primes d’assurance versées alors même que les petits enfants gratifiés ne venaient pas à la succession en qualité d’héritiers légaux.

La Cour de cassation ne pouvait qui suivre cette argumentation.

Il faut en effet savoir que le rapport est une affaire d’égalité entre héritiers. Elle permet au(x) cohéritier(s) de rétablir une égalité entre les héritiers lorsque le défunt n’a pas entendu rompre volontairement l’égalité par l’effet d’une disposition testamentaire (non rapportable en principe) ou encore par une donation stipulée hors part successorale (ou par préciput et hors part).

Seulement, l’application de la règle du rapport suppose la réunion de plusieurs conditions. L’une d’entre elles a trait au redevable du rapport. Et sur ce point, il faut dire que le Code civil, avant comme après l’entrée en vigueur de loi du 23 juin 2006, demeure assez limpide : le redevable du rapport (le bénéficiaire de la donation) doit venir, lors de l’ouverture à la succession, en qualité d’héritier ab intestat. L’héritier ne doit donc pas, au regard de la libéralité en cause, venir en qualité d’héritier testamentaire, puisque dans cette hypothèse l’intention du défunt est, sauf clause contraire, avoir été de rompre l’égalité par la gratification d’un legs.

La loi du 23 juin 2006 (qui s’applique pour toutes les successions ouvertes après le 1er janvier 2007) apporte aujourd’hui une distinction : le gratifié doit avoir eu, au moment de la donation, la qualité de présomptif héritier. Il ne doit donc pas le rapport, sauf volonté contraire du disposant. (article 846 du Code civil)

Par ailleurs, s’agissant de la qualité d’héritier, il faut savoir que la loi ne fait aucune distinction : il peut donc s’agir de descendants, ascendants, de collatéraux et du conjoint survivant.

Dès lors, en présence d’enfants du défunt, ces derniers excluent les petits-enfants dans la mesure où l’héritier au degré le plus proche dans l’ordre exclut l’héritier le plus éloigné en degré (article 744 al. 1er du Code civil).

Les petits-enfants ne pouvaient donc être tenus de rapporter à la succession le montant des primes versées par leur grand-mère.

Cela ne veut pas dire que le fils demandeur à l’action en partage judiciaire était privé de tout recours : un autre mécanisme permet d’assurer une certaine protection : l’atteinte à la réserve et l’exercice de l’action en réduction des libéralités excessives. Encore faut-il dégager, au travers d’opérations de liquidation, l’existence d’une atteinte à la réserve…

La solution prononcée le 8 mars 2017 par la Cour de cassation, quand bien même celle-ci ait été rendue sous l’empire de l’ancien article 843 du Code civil, reste donc toujours d’actualité pour les successions ouvertes après le 1er janvier 2007.

Références : Cass. civ., 1ère, 8 mars 2017, n°16-10384, Bull. 2010, I, n° 211. (lien legifrance)