Les questions relatives à la recevabilité des actions en justice introduites dans un contexte successoral reviennent depuis quelques années assez fréquemment devant la Cour de cassation. Les actions en partage en judiciaire, rapport, réduction et recel successoral sont très souvent l’occasion pour les cohéritiers dont les intérêts sont divergents de venir s’affronter sur l’existence d’une fin de non-recevoir tirée de la prescription, ayant pour conséquence d’empêcher le juge de statuer sur le fond de l’affaire. (article 122 du Code de procédure civile)
L’affaire soumise à la Cour de cassation le 7 juillet 2021 posait une question de nature procédurale de nature à intéresser les praticiens du droit des successions sur la possibilité ou non de se prévaloir de l’effet interruptif de prescription de l’action en partage judiciaire sur une demande en paiement d’un salaire différé qui n’avait pas été expressément formulée en temps utiles.
Tout d’abord, il est désormais bien connu que l’action en partage est imprescriptible (article 815 du Code civil ; Cass. civ. 1ère, 12 décembre 2007, n°06-20.830). En conséquence, les difficultés procédurales ne se concentrent pas, en pareil cas, sur la date d’introduction de la demande en justice, cause interruptive de prescription (cf. infra). Le débat se cristallise très généralement soit sur l’omission d’une demande expresse du partage judiciaire de la succession durant la première instance, soit encore sur la recevabilité des actions accessoires ou connexes aux opérations de liquidation-partage d’une succession. Ainsi, des problématiques de recevabilité sont régulièrement opposée par les parties à l’occasion de l’exercice d’une action en réduction, d’une action en recel successoral* ou encore pour l’action en délivrance d’un legs**.
La question de la prescription du rapport de libéralités ou de dettes pose quant à elle moins de difficulté en pratique compte tenu de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation qui retient l’imprescriptibilité de la demande en rapport tant que la clôture des opérations de liquidation-partage n’est pas intervenue (Cass. civ. 1ère, 22 mars 2017, n°16-16.894)
A côté de ces problématiques récurrentes, le contentieux relatif aux demandes en paiement de créance de salaire différé se rencontre relativement ordinairement à l’occasion de l’ouverture d’une succession (ou encore de successions confondues) dans les régions rurales. Le législateur a introduit, sous certaines conditions, la possibilité pour les descendants ou le conjoint survivant d’une exploitation agricole (ou d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale) ayant réalisé une prestation de travail désintéressée, de se prévaloir d’un droit de créance contre la succession. (voir par exemple pour ce qui concerne les exploitations agricoles les articles L. 321-13 à L. 321-21 du code rural).
S’agissant d’un droit de créance et faute de texte spécifique, cette action est soumise, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, à la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du Code civil***. Pour valablement interrompre cette courte prescription, l’héritier qui se prétend créancier d’un salaire différé, en pratique, introduire une action en justice et formuler une demande expresse en ce sens. (article 2241 du Code civil)
Mais qu’en est-il lorsque suite à l’introduction d’une action classique aux fins d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage d’une succession, l’un des héritiers vient, à l’occasion du procès, formuler tardivement une demande complémentaire en paiement d’un salaire différé de nature à faire naître un vif débat sur la prescription ? La demande en paiement d’un salaire différé permet-elle d’être englobée dans la demande en partage judiciaire ? Ou ces actions doivent être considérées, sur un plan procédural, comme étant distinctes l’une de l’autre ?
Rappelons avant tout qu’en procédure civile, le principe est normalement celui de l’absence d’extension du bénéfice de l’interruption à des actions distinctes. A titre d’exemple, en matière successorale, il a notamment pu être jugé que « l’action initiale en rescision du partage d’ascendant et l’action ultérieure avaient un objet différent, dès lors que la seconde ne tendait plus à l’annulation, mais à la simple réduction des donations excédant la quotité disponible » (Cass. civ. 1ère, 13 novembre 2003, n°00-20.075)
Néanmoins, selon les cas, la jurisprudence admet, que les actions dites liées ou tendant aux mêmes fins, soient de nature à permettre de conserver l’effet interruptif de prescription attachée à la première action pour toutes actions complémentaires intentées postérieurement. Régulièrement, la haute juridiction est donc amenée à statuer que « si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première » (Cass. soc. 15 juin 1961 ; Cass. civ. 3ème, 22 septembre 2004, n°03-10.923)
La souplesse jurisprudentielle de la Cour de cassation permet donc aux plaideurs négligents de pouvoir échapper aux délicates conséquences d’une irrecevabilité pour cause de prescription.
C’est sur cette question de nature purement procédurale mêlant action en partage judiciaire et action en paiement différé que la Cour de cassation était amenée à se prononcer dans son arrêt du 7 juillet 2021.
En l’espèce, deux époux laissent à leur succession trois enfants. Pendant les opérations de liquidation-partage, deux cohéritiers décèdent. Leurs propres héritiers viennent donc en qualité de successeurs de leurs parents décédés (épouse et/ou enfants). Une demande en partage judiciaire est formée. Néanmoins, trois petits-enfants (venant par représentation de leur auteur décédé) et leur mère (conjoint survivant) – les consorts O. – invoquent ultérieurement l’existence d’une créance de salaire différé contre la succession de l’un de leur ascendant, alors exploitant agricole. Un autre cohéritier s’y oppose et soulève l’irrecevabilité de l’action en versement d’un salaire différé pour cause de prescription.
Devant la cour d’appel de RIOM, les consorts O. tentent d’échapper à la fin de non-recevoir soulevée par la partie adverse en arguant que l’action en partage judiciaire avait eu pour effet d’interrompre la prescription de l’action en paiement du salaire différé exercée tardivement, soit après un délai de 5 ans à compter de l’ouverture de la succession exploitant.
La cour d’appel fait droit aux arguments des consorts O., retenant que l’action engagée aux fins de partage tend au même but que l’action en versement d’un salaire différé puisque ces deux actions visent à mettre fin à l’indivision en déterminant les droits respectifs des héritiers, et en déduit qu’il doit donc être considéré que l’action en versement d’un salaire différé est virtuellement comprise dans l’action en partage.
Au visa de l’article 2241 du Code civil, la Cour de cassation casse et annule partiellement l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Limoges au motif suivant : « l’action en versement d’un salaire différé, qui ne tend ni à la liquidation de l’indivision successorale ni à l’allotissement de son auteur, n’a pas la même finalité que l’action en partage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
En d’autres termes, la Cour de cassation enferme désormais rigoureusement la possibilité pour les héritiers créanciers de profiter de l’effet interruptif de l’action en partage judiciaire pour toute demande tendant au paiement d’une créance de salaire différé, celle-ci ne répondant pas aux deux conditions posées par elle.
Promis à une large diffusion, cet arrêt a très nettement pour dessein d’inviter promptement les héritiers fondés à invoquer contre la succession la créance de salaire différé qu’ils peuvent légitimement invoquer, d’autant que le point de départ commence à courir à compter du jour de l’ouverture de la succession (Quid du cas où l’héritier n’aurait pas eu connaissance de l’existence du décès… ?).
Qu’en est-il lorsque des couples coexploitent une entreprise ? Le créancier doit-il exercer son action dès le décès du premier exploitant ou doit-il attendre le décès du survivant pour formuler une demande en ce sens ?
Sur ce point, dans l’hypothèse d’un contrat unique de travail à salaire différé dans la cadre d’une co-exploitation des parents (décédés), le demandeur était fondé à se prévaloir du report du point de départ de la prescription au jour de l’ouverture de la dernière des successions. La Cour de cassation a ainsi pu juger que « le bénéficiaire d’un salaire différé exerce son droit de créance après le décès de l’exploitant et au cours du règlement de la succession ; que, si ses parents étaient co-exploitants ou exploitants successifs, il peut se prévaloir d’un unique contrat de travail et exercer son droit de créance sur l’une ou l’autre des successions ; » (Cass. civ. 1ère, 23 janvier 2008, n°06-21.301 ; voir également CA ROUEN 30.11.2016, RG n°15/03445)
Le bénéfice de cette jurisprudence ne peut toutefois pas s’appliquer dans le cas où chacun des parents a été successivement exploitant de la même exploitation. En pareille situation, le descendant venant à la succession ne peut se prévaloir d’un unique contrat de travail : il doit donc exercer son action en paiement de créance de salaire différé à compter du jour de l’ouverture de la succession du premier décédé. (Cass. civ. 1ère, 27 février 2013, n°11-28.359)
Une autre question procédurale peut enfin intervenir lors du procès en appel : Une partie est-elle recevable à invoquer pour la première fois en cause d’appel une demande de salaire différé, dans le cadre d’un litige principal portant sur un partage judiciaire d’origine successorale ? La réponse est, au regard d’une jurisprudence relativement ancienne, favorable à la partie négligente dans la mesure où la Cour de cassation a pu exclure en pareille circonstance toute demande nouvelle, considérant que « les parties peuvent ajouter à leurs prétentions d’origine celles qui en sont le complément ». (Cass. civ. 1ère, 20 mars 1989, n°87-10.798)
A la lumière de ce nouvel arrêt, le praticien est désormais averti : Celui-ci sera avisé d’interroger au plus tôt le ou les héritiers susceptibles d’invoquer contre la succession une créance de salaire différé et de veiller ensuite à ce qu’une demande soit expressément formulée devant le juge afin d’éviter de tomber sous le joug de la prescription, la seule demande aux fins de partage judiciaire n’étant pas de nature à interrompre la prescription quinquennale.
Référence : Cass. civ. 1ère, 7 juillet 2021, pourvoi n°19-11.638, à paraître au Bulletin.
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(*) : Lire les articles suivants :
(**) : Sur l’absence de suspension de l’action en délivrance d’un legs en cas d’action en nullité d’un testament (Cass. 1ère, civ., 30 sept. 2020, n°19-11.543)
(***) : La prescription antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 était de 30 ans.