Le recours au testament authentique (dressé devant notaire en présence de deux témoins ou encore devant deux notaires) est souvent gage d’efficacité.
Ce professionnel, rompu à la matière du droit des successions, peut utilement donner tous conseils utiles et retranscrire les intentions du testateur de telle manière à ce que celles-ci soient pleinement effectives lors de sa prise d’effet (à savoir lors de l’ouverture de la succession). Son intervention limite fortement le risque de contestations futures entre les héritiers.
Il arrive pourtant, en de rares cas, que des dispositions testamentaires prises par acte authentique conduisent les héritiers légaux et testamentaires à s’affronter sur le terrain de sa validité.
La présente affaire dont a eu à connaître la cour de cassation portait en effet sur un litige de nature successorale où l’un des plaideurs avait opposé l’absence de validité de dispositions testamentaires rédigées le 17 novembre 2020 prises dans un acte authentique.
Les raisons invoquées étaient que l’acte authentique faisait état que le testateur, dans l’incapacité de comprendre la langue de rédaction de l’acte, avait eu recours à un interprète.
La situation était, il est vrai, pour le moins délicate. Au moment de la rédaction du testament authentique, la loi française interdisait tout recours à l’interprète.
Cette lacune sera d’ailleurs finalement corrigée par une loi n°2015-17 du 16 février 2015 (article 3), entrée en vigueur postérieurement à la date de rédaction du testament et ne pouvant donc être appliquée dans le cadre du présent litige.
Un très récent arrêt de la cour de cassation rappelle d’ailleurs utilement que l’acte testamentaire est régi par la loi en vigueur au jour où il a été établi. (Cass. civ. 1ère, 23 mars 2002, n°20-17.663 ; commentaire de l’arrêt).
Le testament authentique ne pouvait ici qu’être déclaré non valable au regard du droit français applicable.
Néanmoins, et dans le but de sauver un testament défectueux, il est aujourd’hui acquis que le bénéficiaire d’un testament nul concernant sa forme peut régulièrement invoquer des dispositions juridiques à caractère international pour tenter d’échapper à cette sanction.
En pareille situation, il est aujourd’hui vivement conseillé, lorsque le testament à de grandes chances d’être déclaré nul au regard des règles de droit interne, de faire reconnaître par la juridiction saisie que celui-ci puisse valoir en tant que testament international en s’appuyant sur les dispositions contenues dans la Convention de Washington du 26 octobre 1973 portant loi uniforme sur la forme d’un testament international.
Les décisions récentes rendues par la cour de cassation montrent que les parties ont tout intérêt à invoquer devant les juges du fond que le testament affecté d’un vice au regard du droit interne puisse être reconnu en tant que testament international (Cass. civ. 1ère, 25 novembre 2015, n°14-21.287 et Cass. civ. 1ère, 5 septembre 2018, n°17-26.010).
Encore faut-il cependant que l’ensemble des formes requises par cette convention soient respectées, auquel cas, toute tentative de reconnaissance de l’existence d’un testament international sera inéluctablement vouée à l’échec (Cass. civ. 1ère, 10 octobre 2012, n°11-20.702)
Dans la présente situation, les bénéficiaires du testament litigieux s’étaient fort logiquement attachés à invoquer les dispositions à caractère international de la Convention de Washington afin de pouvoir se prévaloir de son legs lors du règlement de la succession.
La présence d’un interprète lors de la rédaction du testament était-il, en application des dispositions de la convention de Washington, de nature à permettre la reconnaissance d’un testament international ?
L’arrêt rendu le 16 juin 2020 par la Cour d’appel de Grenoble avait considéré que le testament litigieux devait être reconnu en tant que testament international (prenant le contrepied du jugement rendu en première instance qui n’avait pas admis sa validité).
Elle avait motivé sa décision en retenant que « si l’acte ne porte pas mention exacte que le document est le testament de [I] [V] et qu’elle en connaît son contenu, il précise qu’il a été écrit en entier de la main du notaire, tel qu’il lui a été dicté par la testatrice et l’interprète, puis que le notaire l’a lu à ceux-ci, lesquels ont déclaré le bien comprendre et reconnaître qu’il exprime les volontés de la testatrice, le tout en présence simultanée et non interrompue des témoins, ce qui permet de s’assurer que [I] [V] en connaissait le contenu et qu’il portait mention de ses dernières volontés. »
L’héritier réservataire (petit-enfant du défunt venant par représentation de son père prédécédé) tentait dès lors d’obtenir l’annulation de l’arrêt rendu en appel et formait donc un pourvoi devant la Cour de cassation.
Par un arrêt du 2 mars 2022, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu au visa des articles 3, paragraphe 3 et 4, paragraphe 1 de la loi uniforme sur la forme du testament international annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973 au motif que :
« s’il résulte de ces textes qu’un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l’expression de son auteur, ce testament ne peut être écrit en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l’aide d’un interprète. »
Cette solution, stricte, ne s’imposait pas nécessairement.
Certes, il ne pouvait être critiqué le fait que l’article 4 paragraphe 1 de la loi uniforme précise que « le testateur déclare (…) que le document est son testament et qu’il en connaît le contenu ».
Autrement dit, le testateur doit comprendre la langue utilisée pour l’écriture du testament international.
Néanmoins, la convention de Washington n’exclut nullement le recours à un interprète.
D’ailleurs, l’article V de la convention portant loi uniforme sur la forme d’un testament internationale envisage même la question de l’interprète. Il est prévu au 1°dudit article que : « Les conditions requises pour être témoin d’un testament international sont régies par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée. Il en est de même à l’égard des interprètes éventuellement appelés à intervenir. ».
Quelle serait donc l’utilité de permettre l’intervention d’un interprète s’il est finalement requis, pour que l’acte soit considéré comme valant testament international, comme le juge la Cour de cassation, que le testateur doit comprendre la langue de rédaction du testament ?
Il n’est donc pas certain que la position de la Cour de cassation soit amenée à rester figée, d’autant qu’elle fait généralement preuve de souplesse en cette matière.
Si les nouvelles dispositions de l’article 972 du code civil aujourd’hui en vigueur autorisent désormais l’intervention d’un interprète pour la confection d’un testament authentique, il reste envisageable que la haute juridiction soit de nouveau amenée à se prononcer sur une question similaire, bon nombre de testaments ayant été rédigés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n°2015-17 du 16 février 2015 modifiant l’article 972 du Code civil.
La Cour d’appel de Lyon, saisie en tant que cour d’appel de renvoi, a pu juger dans son arrêt du 21 mars 2023 que le testament litigieux est valable en tant que testament international, bien que dicté par un interprète et donc écrit dans une langue non comprise du testateur.
Les juges Lyonnais se sont appuyés sur les articles 3 et 5 de la Convention de Washington.
Si le testament international doit être écrit dans une langue comprise par le testateur (qui est la solution de l’arrêt de cassation), il peut également être écrit dans une langue qu’il ne comprend pas, dès lors qu’il a été fait appel à un interprète estiment les juges lyonnais. (note Mme LEVILLAIN, AJ Famille juillet 2023, p. 412).
Cette nouvelle décision est donc venue prendre le contrepied de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 mars 2022.
Saisie d’un nouveau pourvoi, l’assemblée plénière de la Cour de Cassation était amenée à statuer sur la question de la validité du testament authentique litigieux, en tant que testament international.
L’auteur du pourvoi faisait ici grief à l’arrêt de dire que le testament reçu le 17 avril 2002 par M. [W] est valide et de rejeter ses demandes, alors « que si un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l’expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l’être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l’aide d’un interprète ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 3, § 3, et 4, § 1, de la loi uniforme sur la forme d’un testament international annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973, ainsi que l’article V.1 de cette Convention. »
Par son arrêt du 17 janvier 2025, la Cour de cassation expose tout d’abord qu’il est permis de retenir deux interprétations des dispositions combinées des articles 3, §3 et 4, §1 de la loi uniforme sur la forme d’un testament international annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973 (la Convention) et de l’article V.1 de ladite convention, quant à la possibilité, en matière de testament international, de pallier la méconnaissance par le testateur de la langue qu’il a choisie pour tester en recourant à un interprète.
Une première interprétation tient compte de ce que la loi uniforme, que les États parties ont seule l’obligation d’intégrer à leur droit interne, ne prévoit pas le recours à un interprète. Elle s’inscrit, selon la cour de cassation « dans un courant jurisprudentiel, qui, interprétant les règles formelles à l’aune de leur finalité, en l’occurrence favoriser la liberté du disposant et le respect de ses volontés tout en s’assurant de la réalité de ses intentions, subordonne la validité du testament à la faculté pour le testateur d’en vérifier personnellement le contenu » (Cass. civ. 1ère, 9 juin 2021, n° 19-21.770 et Cass. civ. 1ère, 12 oct. 2022, n° 21-11.408).
Une seconde interprétation tire de l’article V.1 de la Convention la possibilité d’avoir recours à un interprète dans les conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée. Selon l’assemblée plénière, « elle garantit la sécurité juridique des testaments reçus en la forme internationale, par une personne habilitée par la loi d’un autre État partie, en présence d’un tel interprète, et assure, dans un contexte de mobilité des personnes et d’internationalisation des patrimoines, une application harmonisée des règles du testament international au sein des États ayant ratifié la Convention« .
Par sa décision du 17 janvier 2025, l’assemblée plénière considère désormais qu’il y a désormais lieu de retenir la seconde interprétation selon laquelle :
« la loi uniforme permet qu’un testament soit écrit dans une langue non comprise du testateur dès lors que, dans ce cas, celui-ci est assisté par un interprète répondant aux conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée à instrumenter a été désignée »
Cette décision, qui constitue donc un revirement de jurisprudence, est cependant soumises, en l’état du droit interne en vigueur, à deux conditions relative à l’intervention de l’interprète.
la Haute cour constate tout d’abord qu’aucune disposition de la Convention ni de la loi uniforme ne fait obligation aux États parties d’introduire dans leur législation des dispositions relatives aux conditions d’intervention d’un interprète.
Antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n°2015-177 du 16 février 2015 ayant modifié l’article 972 alinéa 4 du Code civil, la loi n°94-337 du 29 avril 1994 antérieurement en vigueur ne prévoyait aucune disposition relative aux conditions d’intervention d’un interprète de sorte que la Cour de cassation retenait que « le silence de cette loi doit s’interpréter comme ne permettant pas en lui-même le recours à un interprète« .
La jurisprudence de la Cour de cassation considérait, en l’état des textes alors applicables, que le testament authentique reçu par le truchement d’un interprète était nul (Cass. civ. 1ère, 18 déc. 1956, Bull. I, n° 469 et Cass. civ. 1ère, 15 juin 1961, Bull. n° 317).
Ce n’est que par l’entrée en vigueur de la loi n°2015-177 du 16 février 2015 (publiée au journal officiel le 17 janvier 2015 et entrée en application le 18 janvier 2015) que le législateur a assoupli le formalisme du testament authentique afin de permettre, lorsque le testateur ne peut s’exprimer en langue française, que la dictée et la lecture du testament puissent être accomplies par un interprète, sous la réserve cependant que cet interprète soit choisi par le testateur sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel.
L’article 972 alinéa 4 du Code civil est aujourd’hui rédigé en ces termes :
« Lorsque le testateur ne peut s’exprimer en langue française, la dictée et la lecture peuvent être accomplies par un interprète que le testateur choisit sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel. L’interprète veille à l’exacte traduction des propos tenus. Le notaire n’est pas tenu de recourir à un interprète lorsque lui-même ainsi que, selon le cas, l’autre notaire ou les témoins comprennent la langue dans laquelle s’exprime le testateur. »
Tirant les conséquences de la nouvelle rédaction de l’article 972 du Code civil, l’arrêt de la Cour de cassation ajoute encore que « seul un testament authentique recueilli avec le concours d’un tel expert, postérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, intervenue le 18 février 2015, pourrait, par équivalence des conditions, être déclaré valide en tant que testament international ».
En l’espèce, la Cour d’appel de Lyon avait néanmoins déclaré valable le testament authentique litigieux du 17 avril 2002, en tant que testament international, alors même que le droit interne ne prévoyait alors pas le recours à l’intervention d’un interprète (et dont il faut également souligner que celui requis n’était d’ailleurs pas inscrit en qualité d’expert judiciaire).
Après avoir constaté que le droit français ne permettait pas, au jour de la rédaction du testament, le recours à l’interprète et qu’au surplus celui-ci n’avait pas été choisi par le testateur sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel, l’arrêt d’appel est cassé en toutes ses dispositions et renvoyé devant la Cour d’appel de Chambéry.
L’assemblée plénière reçoit donc le pourvoi et juge que :
« En statuant ainsi, alors qu’à la date du testament litigieux, aucune disposition légale ne permettait, tant en matière de testament international qu’en matière de testament authentique, de recourir à un interprète pour assister un testateur ne comprenant pas la langue du testament, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
La Cour d’appel de renvoi ne pourra donc, dans l’affaire qui lui est soumise, que prononcer la nullité du testament litigieux.
Liens : Cass. civ. 1ère, 2 mars 2022, n°20-21.068 et Cass. plén. 17 janvier 2025, n°23-18.823