Irrecevabilité de la demande en partage judiciaire d’une succession formée pour la première fois en cause d’appel : les arrêts se suivent et se ressemblent… (Cass. civ. 1ère, 18 mars 2020, n°18-25.434)
12 mai 2020
L’action en versement d’un salaire différé, qui ne tend ni à la liquidation de l’indivision successorale ni à l’allotissement de son auteur, n’est pas interrompue par une demande en partage judiciaire de la succession (Cass. civ. 1ère, 7 juillet 2021, n°19-11.638, Bulletin)
22 septembre 2021
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L’enfant renonçant peut-être déchargé de son obligation au paiement des frais funéraires lorsque son ascendant a manqué gravement à ses obligations envers lui. (Cass. civ., 1ère, 31 mars 2021, n°20-14.107)

L’héritier acceptant et la faculté d’être déchargé du paiement de dettes ou charges successorales.

La faculté pour un héritier d’être déchargé du paiement de certaines dettes (ou charges) successorales est un dispositif prévu par certaines dispositions textuelles légales, qui permet à celui qui est en légalement tenu, d’échapper au paiement, ceci en considération de circonstances particulières.

L’article 786 du code civil, relatif à l’acceptation pure et simple d’une succession, dispose ainsi que :

« L’héritier acceptant purement et simplement (…) peut demander à être déchargé en tout ou partie de son obligation à une dette successorale qu’il avait des motifs légitimes d’ignorer au moment de l’acceptation, lorsque l’acquittement de cette dette aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel.

L’héritier doit introduire l’action dans les cinq mois du jour où il a eu connaissance de l’existence et de l’importance de la dette. » (article 786 du code civil)

L’obligation alimentaire.

Pareillement, le débiteur d’une obligation alimentaire peut également, sous certaine condition, être déchargé partiellement ou totalement de son obligation au paiement.

Un arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation du 31 mars 2021 est venu se prononcer, dans un contexte successoral, sur la possibilité pour un enfant ayant renoncé à la succession de son père, d’être déchargé du paiement des frais funéraires.

Les faits.

En l’espèce, le frère du défunt avait mandaté une société de pompes funèbres pour l’organisation des funérailles.

N’étant ensuite pas réglé de ses prestations, le professionnel a assigné devant le Tribunal d’instance de Châteauroux le frère du défunt, donneur d’ordre, aux fins d’obtenir une décision de justice le condamnant à payer les sommes dues au titre de la prestation réalisée.

Ce dernier a appelé alors en garantie le fils du défunt, héritier ayant antérieurement renoncé à la succession de son père, afin qu’il soit lui-même condamné à payer les frais funéraires, sur le fondement des dispositions de l’article 806 du Code civil qui prévoit que « le renonçant est tenu à proportion de ses moyens au paiement des frais funéraires de l’ascendant à la succession duquel il renonce ».

L’enfant, qui n’avait eu aucun lien avec son père durant sa vie ni aucune aide de son ascendant s’est opposé à la demande de garantie réclamée par son oncle et sollicite en conséquence d’être déchargé du règlement des frais funéraires afférents aux obsèques de son père.

La solution rendue en première instance.

Par jugement du 18 décembre 2019, le Tribunal a notamment rejeté la demande en garantie du frère.

Le juge avait considéré que l’exception d’indignité de l’article 207 du code civil permet à l’enfant d’être affranchi de l’obligation alimentaire prévue à l’article 205 du même code, s’il établit le comportement gravement fautif de son parent à son égard.

Plusieurs attestations produites aux débats permettant de constater que le père n’avait jamais cherché à entrer en contact avec le fils ou à lui donner de ses nouvelles, s’était désintéressé de celui-ci et s’était encore abstenu de participer à son entretien et à son éducation, le premier juge avait retenu un comportement gravement fautif envers lui de nature à le décharger de participer au règlement des frais funéraires sollicités par la société de pompes funèbres.

Ensuite, le jugement avait également repoussé l’action en garantie au motif que les conditions de la subrogation légale n’étaient pas remplies du fait de l’absence de paiement des sommes dues par le frère à la société de pompes funèbres.

Non satisfait de la décision du Tribunal d’instance statuant en dernier ressort, le frère du défunt se pourvoit en cassation.

Le Tribunal pouvait-il régulièrement prononcer la décharge de l’héritier renonçant de participer aux frais d’obsèques en l’absence de dispositions textuelles spécifiques prévues à l’article 806 du Code civil ?

La réponse de la cour de cassation.

Par un arrêt du 31 mars 2021, la première chambre civile de la cour de cassation approuve le Tribunal d’instance de Châteauroux d’avoir déchargé l’enfant renonçant au paiement des sommes dues à la société de pompes funèbres.

Nul n’ignore que les pères et mères (ou ascendants) doivent des aliments aux enfants, et réciproquement, lorsqu’il existe une situation de besoin (articles 205 et 207 alinéa 1 du Code civil).

L’article 207 alinéa 2 du code civil prévoit toutefois une limitation à cette obligation alimentaire : en cas de manquement grave du créancier à ses obligations envers le débiteur, celui-ci peut être déchargé en tout ou partie de la dette alimentaire.

Enfin, l’article 371 du même code, précise que « l’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère ».

Les solutions retenues antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006.

De jurisprudence constante avant l’entrée en vigueur de la loi portant réforme des successions et des libéralités (loi n°2006-728 du 23 juin 2006), il était acquis, en l’absence de texte spécifique, que l’absence d’obligation aux dettes et charges de la succession résultant d’une renonciation ne s’étend pas aux dettes qui pèsent sur les héritiers à titre personnel en raison de leur appartenance à la famille du défunt.(*)

Un arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation du 8 juin 2004 avait en effet précisé au visa des articles 205 et 371 du Code civil que « lorsque l’actif successoral ne permet pas de faire face aux frais d’obsèques, les enfants, tenus de l’obligation alimentaire à l’égard de leurs ascendants, doivent, en application des textes susvisés, même s’ils ont renoncé à la succession, assurer la charge de ces frais dans la proportion de leurs ressources » (Cass. civ., 1ère, 8.06.2004, n°02-12.750).

De même, un autre arrêt de la même chambre du 21 septembre 2005, au visa cette fois-ci des articles 205, 207 et 371 du Code civil, avait pu juger que « lorsque l’actif successoral ne permet pas de faire face aux frais d’obsèques, les débiteurs de l’ obligation alimentaire à l’égard de leurs ascendants ou descendants, doivent en application des textes susvisés, même s’ils ont renoncé à la succession, assurer la charge de ces frais dans la proportion de leurs ressources » (Cass. civ., 1ère, 21.09.2005, n°03-10.679).

L’entrée en vigueur de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006.

Depuis la réforme du 23 juin 2006, l’article 806 du Code civil prévoit désormais expressément que les frais funéraires restent dus par l’héritier renonçant, l’obligeant donc à participer au règlement des frais funéraires du défunt, contribution qui est fixée à la mesure de ses moyens financiers. (article 806 du Code civil)

Néanmoins, aucune précision textuelle n’a été spécifiquement prévue quant à la possibilité pour l’héritier renonçant d’être déchargé du paiement desdits frais, laissant une infime brèche à l’auteur du pourvoi d’étayer sa thèse et obtenir l’annulation du jugement prononcé par le Tribunal.

Si le législateur de 2006 n’a effectivement pas pris soin de prévoir de disposition spécifique quant à la possibilité de solliciter une décharge du paiement par l’héritier renonçant, il n’en demeure pas moins que l’essence même de l’obligation figurant à l’article 806 du code civil est en étroite dépendance avec celles instaurées par les articles 205, 207 et les devoirs exposés par l’article 371 du Code civil.

Le moyen invoqué devant la cour de cassation.

En l’espèce, l’auteur du pourvoi soutenait que l’obligation au paiement des frais funéraires par l’héritier renonçant trouvait un fondement distinct de celui de l’obligation alimentaire mais également que le devoir d’honorer et respecter ses parents ne prévoyait aucune condition permettant à celui-ci d’en être déchargé (**)

Le moyen avait en réalité assez peu de chance de prospérer tant les divers arrêts de la Cour de cassation qui avaient été rendus jusque-là devaient conduire à une solution inverse.

Dans ces conditions, il n’y avait pas de raison de faire échec à application de l’alinéa 2 de l’article 207 du Code civil, alinéa prévoyant expressément la possibilité d’être déchargé en tout ou partie de la dette alimentaire, pour autant qu’il soit caractérisé un manquement grave à l’égard du débiteur d’aliment.

L’attendu de la cour de cassation.

Dans son arrêt du 31 mars 2021, la cour de cassation prend soin d’énoncer clairement qu’« Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque l’actif successoral ne permet pas de faire face aux frais d’obsèques, l’enfant doit, même s’il a renoncé à la succession, assumer la charge de ces frais, dans la proportion de ses ressources. Il peut toutefois en être déchargé en tout ou partie lorsque son ascendant a manqué gravement à ses obligations envers lui. »

Le juge du fond ayant dans l’arrêt commenté pu apprécier que le défunt avait manqué gravement à ses obligations à l’égard du fils renonçant, ce dernier pouvait donc être déchargé de toute participation au paiement des frais funéraires de son père, contraignant donc le frère du défunt à assumer lui-même le paiement de ces frais.

Références : Cass. civ. 1ère, 31 mars 2021, pourvoi n°20-14.107.

______________________

(*) : L’ancien article 785 du code civil prévoyait seulement que « L’héritier qui renonce est censé n’avoir jamais hérité ».

(**) : L’auteur du pourvoi reprochait également au juge du fond de s’être fondé sur les règles de la subrogation légale. Les deux branches du moyen sont ici vite balayées par la Cour de cassation comme étant surabondants, quand bien même les motifs critiqués du Tribunal étaient erronés.