L’intervention d’un interprète dans le cadre de la rédaction d’un testament jugé défectueux empêche sa reconnaissance en tant que testament international (Cass. civ. 1ère, 2 mars 2022, n°20-21.068).
15 avril 2022
Partage et action en annulation d’une assemblée générale de copropriété : l’effet déclaratif du partage et la recevabilité de l’action. (Cass. civ. 3ème, 9 février 2022, n°20-22.159)
29 avril 2022
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Legs au profit d’une auxiliaire de vie : les dispositions testamentaires sont régies par la loi en vigueur où elles ont été établies (Cass. civ. 1ère, 23 mars 2022, n°20-17.663)

Le contentieux des successions et l’existence de dispositions testamentaires : une étroite dépendance…

Le droit des successions est une matière où, en raison des enjeux patrimoniaux, héritiers ou gratifiés sont assez souvent amenés à se quereller sur les dispositions testamentaires prises par un défunt.

Si les difficultés sont généralement moins exacerbées lorsque celles-ci sont consignées dans un acte authentique (l’intervention d’un notaire étant de nature à éviter que tout ou partie des volontés du testateur puisse comporter des imprécisions rédactionnelles), l’analyse de décisions judiciaires récentes montre qu’elles ne sont toutefois pas réduites à peau de chagrin.

Le droit des successions et les interventions ponctuelles du législateur.

Le droit des successions est on le sait un droit particulièrement technique, régulièrement amené à évoluer pour se conformer aux changements sociétaux. Les praticiens assistent dès lors, au fil des années, à de modestes retouches ou encore à d’importantes évolutions législatives.

C’est notamment le cas lorsque le législateur a eu pour objectif de fortement déjudiciariser l’envoi en possession des légataires universels (non saisis) pour les confier au Notaire (loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016). Dernièrement, c’est la question de la réserve héréditaire en matière internationale qui a été retouchée (loi n°2021-1109 du 24 août 2021, article 24).

Depuis la réforme du droit des successions et des libéralités issues de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006, bon nombre de dispositions textuelles ont été précisées ou se sont vu être modifiées par intervention de lois nouvelles diverses, posant ainsi question de leur entrée en vigueur.

Bien souvent, le législateur est amené à anticiper cette problématique, lorsqu’il est nécessaire d’apporter des nuances, en prenant soin d’introduire des dispositions dites transitoires.

Le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle.

Pour autant, le code civil pose la règle fondamentale que « la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif ». (article 2 du Code civil)

Les cas jurisprudentiels récents montrent que certaines situations juridiques particulières apportent de temps à autre des solutions subtiles.

Ainsi, la cour de cassation vient à moduler ce principe par la « théorie des effets légaux du contrat »* (Cass. 3ème, 17 novembre 2016, n°15-24.552, bulletin). Mais il n’en reste pas moins qu’elle fait preuve d’une extrême vigilance quant au respect des dispositions figurant à l’article 2 dudit code au regard de cette théorie. (Cass. 3ème, 19 décembre 2019, n°18-20.854, bulletin)

Ainsi, la cour de cassation précise le principe suivant lequel « la loi nouvelle, ne disposant que pour l’avenir, ne peut modifier les effets légaux d’une situation juridique définitivement réalisée lors de son entrée en vigueur. » (Cass. civ. 3ème, 3 juin 2021, n°20-12.353)

Le droit des successions et l’application de la loi nouvelle.

La matière successorale n’échappe pas à cette problématique, dans la mesure où les espèces invitent à revenir sur des situations familiales où les faits de vie se sont étendus sur des décennies : Il n’est ainsi pas rare que les héritiers (légaux ou testamentaires) s’efforcent à faire reconnaître l’existence de libéralités intervenues bien des années avant le décès.

Des donations (par acte authentique, don manuel ou donation indirecte/déguisée) ont très souvent été consenties par le défunt des décennies avant l’ouverture de sa succession, ce qui pose comme corollaire la question de leur preuve lorsqu’elles n’ont pas été reçues devant notaire ni enregistrées au service de l’enregistrement.

Les testaments et la loi nouvelle.

Les testaments n’échappent bien évidemment pas non plus à cette problématique : la date de rédaction peut intervenir bien des années avant la survenance du décès, dans un contexte législatif fort différent de celui en vigueur au moment de leur prise d’effet de la libéralité.

Un dernier arrêt récent de la Cour de cassation rendu le 2 mars 2022 par la première chambre civile en témoigne : Un testament authentique avait donné lieu à l’intervention d’un interprète (le testateur ne comprenant pas la langue de rédaction) à un moment où le code civil excluait toute possibilité d’intervention de ce dernier, frappant ainsi de nullité cette libéralité.

Une loi postérieure avait pourtant permis l’introduction en droit français de la possibilité de recours à l’interprète.

Malgré l’intervention (bienvenue) du législateur, les juges du fond n’avaient eu d’autres choix que juger nul les dispositions testamentaires au regard des règles de droit interne. (Cass. civ. 1ère, 2 mars 2022, n°20-21.068 ; commentaire de cet arrêt)

L’arrêt commenté est une nouvelle fois l’occasion de revenir sur la question de la date d’application des règles de fond en matière de testament.

Les faits.

En l’espèce plusieurs bénéficiaires de legs s’affrontaient devant les tribunaux à l’occasion du règlement d’une succession. Le défunt, décédé sans descendance, avait pris des dispositions testamentaires – là encore par acte authentique (confirmé par codicille) – instituant d’une part, plusieurs légataires universels et, d’autre part, plusieurs légataires à titre particulier.

La particularité venait ici du fait que l’un des gratifié à titre particulier exerçait une activité d’auxiliaire de vie.

Or, une loi n°2015-1776 du 28 décembre 2005 (ultérieurement modifiée) avait institué postérieurement à la date de rédaction du testament mais en vigueur au jour du décès, une incapacité de recevoir des libéralités pour certaines catégories de personnes, notamment les auxiliaires de vie. (article L. 116-4, al. 2 du Code de l’action sociale et des familles issu de la loi du 28 décembre 2015)

La décision rendue par la cour d’appel de Paris.

Par un arrêt du 12 juin 2019, la cour d’appel de Paris validait le refus opposé par les légataires universels de délivrer le legs à titre particulier consenti au profit de l’auxiliaire de vie, en faisant application de l’article L. 116-4, alinéa 2 du code de l’action sociale et des familles, retenant qu’il résulte de cette loi que c’est à la date de la libéralité qu’il y a lieu de rechercher si le légataire avait une qualité l’empêchant, au jour du décès du testateur, de recevoir.

Les juges d’appel, qui relevaient qu’à la date du testament authentique l’auxiliaire de vie était employée par le défunt, le legs à titre particulier consenti à son profit se heurtait ainsi à l’interdiction résultant de l’article L. 116-4 al. 2 du code de l’action social et des familles.

L’auxiliaire de vie bénéficiaire de libéralité se voyant privée de la possibilité de recevoir son legs particulier décidait de critiquer l’arrêt prononcé devant la Cour de cassation pour violation de la loi.

La solution dégagée par la cour de cassation.

Par un arrêt du 23 mars 2022, la juridiction suprême casse, sans véritable surprise, sèchement l’arrêt d’appel.

La haute juridiction motive sa décision en indiquant que :

« en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de dispositions particulières, les actes juridiques sont régis par la loi en vigueur au jour où ils ont été conclus et qu’il ressortait de ses constatations qu’au jour de l’établissement du testament, l’article L. 116-4, alinéa 2, du code de l’action sociale et des familles n’était pas en vigueur, la cour d’appel a violé le texte précité. »

Certes, les legs ne prennent effet qu’au jour du décès. La libéralité ne peut être exécutée qu’au jour de l’ouverture de la succession. Toutefois, les règles de fond qui touchent à la validité du testament ne peuvent s’apprécier qu’au jour de sa rédaction, sauf dispositions particulières contraires.

Juger autrement aurait indubitablement eu pour effet d’empêcher toute prévisibilité quant à l’efficacité de la libéralité du fait de l’entrée en vigueur de règles juridiques postérieures.

Toutefois, un auteur avisé rappelle que cette solution aurait mérité une application différente en matière de legs, où le légataire n’intervient pas lors de la formation de l’acte qui l’institue : Ce serait au jour du décès du testateur et non pas celui de l’établissement du testament qu’il conviendrait de se placer pour apprécier la capacité du légataire (M. NICOD, Capacité du légataire et changement de la loi applicable, Droit de la famille n°6, juin 2002, comm. 89).

Références : Cass. civ. 1ère, 23 mars 2022, n°20-17.663, à paraître au Bulletin.

Notes :

* : Dicté par le respect des prévisions des parties et leur prise en considération présumée du contexte normatif entourant le contrat, ce principe amène la cour de cassation à appliquer les dispositions d’une loi nouvelle lorsqu’elle régit « immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées » (V. ‘La théorie des « effets légaux du contrat » peut écarter le principe de survie de la loi ancienne mais pas celui de non-rétroactivité de la loi’, RTD civ., 2020.91, obs. Hugo Barbier)