Succession, indivision et copropriété : des complexités latentes.
Le droit de la copropriété et le droit des successions sont des matières connues pour être techniques et complexes. Au plan procédural, elles partagent en effet une caractéristique commune, celle de comporter diverses dispositions textuelles imposant de respecter certaines obligations qui, à défaut d’être respectées, peuvent conduire à une irrecevabilité de l’action. Et l’on sait que les juges sont aujourd’hui particulièrement prompts à relever les causes d’irrecevabilité.
Si l’article 1360 du Code de procédure civile, qui prévoit l’obligation pour les successeurs de justifier d’un partage amiable avant d’introduire toute action en partage judiciaire, est aujourd’hui bien connu de tous les professionnels exerçant en droit des successions, les praticiens en droit de la copropriété ne sont pas en manque non plus, notamment lorsqu’il s’agit de contester judiciairement une décision d’assemblée générale.
Ainsi, la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 et son décret d’application n°67-223 du 17 mars 1967 comportent tout autant de dispositions visant à restreindre l’exercice de l’action en justice, en particulier en présence d’une indivision ou d’une indivision en nue-propriété consécutive à un démembrement sur un lot de copropriété.
L’ouverture d’une succession est un évènement qui, par nature, est propice à faire naître des droits indivis, un démembrement de propriété (usufruit/nue-propriété) ou encore entrainer une combinaison des deux (indivision avec démembrement), ce qui arrive fréquemment lorsqu’un défunt laisse à sa succession plusieurs héritiers légaux (descendants et conjoint survivant) et/ou des héritiers testamentaires (légataires).
L’ouverture d’une indivision peut également se rencontrer dans le cadre d’un divorce ou tout acte ayant fait naître des droits indivis (par exemple l’acquisition d’un bien immobilier par plusieurs personnes non mariées).
L’alinéa 2 de l’article 23 de la loi du 10 juillet 1965 dispose qu’en présence d’une d’indivision, les indivisaires doivent être représentés par un mandataire commun. Il en de même en cas de démembrement de propriété laissant plusieurs nus-propriétaires indivis, comme l’envisage l’alinéa 3 de l’article 23 précité.
Et depuis la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 (dite loi ALUR) il n’est plus possible d’insérer dans le règlement de copropriété des stipulations contraires aux dispositions de l’article 23, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965.
C’est dire que ce texte implique que les coïndivisaires agissent positivement vis-à-vis du Syndicat des copropriétaires. Au plan formel, le mandataire commun désigné d’un commun accord doit informer le Syndic de copropriété et communiquer copie du mandat. Mais il n’appartient toutefois pas au syndic de se prononcer sur la régularité de la désignation du mandataire commun (Cass. civ. 3ème, 11 janvier 2012, n°10-25.526)
A côté, le syndic dispose, lui aussi, de la possibilité de mettre fin à cette situation incertaine en provoquant la désignation d’un mandataire commun, si du moins il est informé de cette situation.
Le mandat donné reste valable tant qu’il n’a pas été officiellement dénoncé au syndic par l’un des indivisaires.
En l’absence d’accord, le mandataire commun est désigné par le président du tribunal judiciaire saisi par l’un d’entre eux (les indivisaires) ou par le syndic.
L’article 61 du décret du 17 mars 1967 précise les modalités de saisine du juge, qui est aujourd’hui laissé au Président du Tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble statuant selon la forme de la procédure accélérée au fond.
En définitive, le droit actuel régissant la copropriété veut ainsi éviter l’existence de conflits entre les indivisaires à l’égard du syndicat des copropriétaires. Il permet également de faciliter la gestion de la copropriété par le syndic.
Depuis longtemps, il est admis qu’en cas de litige, le coïndivisaire qui entend engager seul une action en justice doit justifier du pouvoir que les autres coïndivisaires ont pu lui confier (Cass ; civ. 3ème, 13 février 1991, n°89-14.958), sauf éventuellement le cas d’une action exercée à titre conservatoire (article 815-2 du Code civil ; CA Chambéry, 15 mars 2016, RG n°15/02049).
L’unanimité est donc la règle, dérogeant ainsi à l’article 815-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006, qui instaure la règle de la majorité des deux tiers pour les actes d’administration.
Quelle que soit l’origine de l’indivision, les coïndivisaires d’un lot de copropriété doivent dès lors être particulièrement vigilants et agir pour faire désigner un mandataire commun (soit de façon amiable soit judiciairement) afin d’exercer sereinement une action en justice.
En matière de copropriété, les actions se concentrent particulièrement sur des demandes judiciaire en annulation d’une assemblée générale des copropriétaires (une, plusieurs ou la totalité des résolutions votées).
La méconnaissance de cette exigence de désignation d’un mandataire commun, particulièrement connue des praticiens, est l’irrecevabilité de l’action en justice (Cass. civ. 3ème, 3 février 2004, n°02-19.084 ;Cass. civ. 3ème, 12 mai 2016, n°15-12.575).
Afin d’apporter un peu de souplesse, la Cour de cassation admet néanmoins qu’il puisse être invoqué l’existence d’un mandant tacite afin de venir s’opposer à l’irrecevabilité de l’action (Cass. civ. 3ème, 12 mars 1997, n°94-16.766).
Il appartient néanmoins à celui qui se prévaut de l’existence d’un mandat tacite d’en rapporter la preuve, l’intervention volontaire du coïndivisaire (dont le consentement faisait défaut) après le délai de forclusion de l’article 42 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965 n’étant d’ailleurs pas de nature à régulariser l’action en annulation (CA Paris, 25 octobre 2007, RG n°07/01019).
Enfin, et de manière évidente, l’obligation de recourir au mandataire commun n’a pas vocation à perdurer si l’indivision cesse, notamment par l’effet d’un acte juridique (partage, cession de droit indivis, cession de droits successifs, renonciation à succession,…).
Le partage est l’acte qui, par principe, met fin à l’indivision. La particularité du partage est qu’il s’agit d’un acte déclaratif (et non translatif).
Aux termes de l’article 883 du Code civil (applicable à tous les partages, quel que soit l’origine de l’indivision), l’indivisaire qui se voit attribuer la pleine propriété du bien mis dans son lot est censé, être propriétaire depuis la naissance de l’indivision (décès, divorce, acte conventionnel ayant créé l’indivision).
Au plan juridique, est ainsi posé le principe de la rétroactivité au regard de la propriété du bien avec pour limite que les droits consentis pendant l’indivision sur un bien indivis sont consolidés.
Dans quelle mesure cette rétroactivité s’articule-t-elle avec les règles restrictives procédurales afférentes à l’exercice d’une action en annulation d’une assemblée générale de copropriétaires ?
D’une part, l’alinéa 2 de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 énonce que « Les actions en contestation des décisions des assemblées générales doivent, à peine de déchéance, être introduites par les copropriétaires opposants ou défaillants dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée, sans ses annexes. Cette notification est réalisée par le syndic dans le délai d’un mois à compter de la tenue de l’assemblée générale. »
D’autre part, l’article 126 alinéa 2 du code de procédure civile dispose également que « Dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. »
C’est à l’aune des articles susvisés que la Cour de cassation devait se prononcer dans une situation, il est vrai, assez singulière.
Deux personnes sont propriétaires en indivision successorale sur un lot se trouvant dans un immeuble régi par le statut de la copropriété. Aucun d’entre eux n’avait expressément désigné de mandataire commun. Après la tenue d’une assemblée générale des copropriétaires le 23 juin 2014, il est élevé une contestation en justice dans le délai de recours posé par l’article 42 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965 . Un recours en annulation de la décision prise en assemblée générale est formé au nom des deux coïndivisaires du lot suivant assignation du 29 août 2014.
En cours de procédure, l’un des deux indivisaires intervient volontairement et faisait état qu’elle n’avait en réalité jamais eu connaissance de l’action intentée par son coïndivisaire (indélicat) et exprimait sa volonté de ne plus y participer, sollicitant par conséquent sa mise hors de cause.
Par ailleurs, un acte de partage est signé entre les coïndivisaires le 6 juin 2016 attribuant le lot de copropriété en question à l’indivisaire à l’initiative de la procédure, à une date bien antérieure à la date d’audience devant la Cour d’appel. Ainsi, au jour où les juges d’appel devait statuer, il n’existait donc plus d’indivision.
Pour autant, au jour de l’exercice de l’action en justice, le consentement d’un des deux coïndivisaires faisait défaut.
Par un arrêt du 23 septembre 2020, la Cour d’appel de Paris déclare irrecevable l’action formée par l’attributaire de l’appartement en retenant que « l’acte de partage du 6 juin 2016 n’avait pas eu pour conséquence de régulariser rétroactivement la situation de ce dernier au regard de la procédure de contestation de l’assemblée générale, les dispositions spéciales de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965, qui imposent que l’action soit introduite par un copropriétaire dans les deux mois de la notification du procès-verbal d’assemblée générale, primant sur les dispositions générales de l’article 126 du code de procédure civile ».
La cour d’appel déduit de sa motivation que n’ayant pas régularisé sa situation dans le délai de l’article 42 précité, l’attributaire ne pouvait se prévaloir du bénéfice des dispositions de l’article 126 du code de procédure civile. Cette disposition permet de régulariser l’irrecevabilité si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
Le copropriétaire forme un pourvoi en cassation en invoquant dans son moyen que le partage intervenu le 6 juin 2016, soit avant que le juge ne statue, a eu pour effet de lui conférer rétroactivement la pleine propriété des lots situés dans la copropriété, de sorte qu’il est recevable à agir seul en annulation de l’assemblée générale litigieuse, la cour d’appel violant ainsi l’article 883 du code civil, ensemble les articles 122 et 126 du code de procédure civile, et l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965.
Par un arrêt du 9 février 2022 promis à une large publication, la Cour de cassation donne raison à l’auteur du pourvoi et casse, aux visas des articles 883 du Code civil et 42 de la loi du 10 juillet 1965, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris dans les termes suivants :
« En statuant ainsi, alors que par l’effet rétroactif du partage, M. [T] est censé être seul propriétaire des lots de copropriété depuis le décès de son auteur et agir seul en annulation de l’assemblée générale sans qu’il y ait lieu à régularisation de l’acte introductif d’instance, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
En d’autres termes, la haute juridiction tire les conséquences de l’effet déclaratif du partage et de la rétroactivité qui y est attachée.
Elle fait ici jouer pleinement le jeu de la rétroactivité instaurée par l’alinéa 1er article 883 du code civil sur les règles de procédure instaurées par l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965.
Nul doute que l’intervention d’un partage est ici venue ‘sauver’ le copropriétaire qui avait initialement fait fi de la volonté réelle de son coïndivisaire d’agir en annulation d’une assemblée générale des copropriétaires.
Il restera désormais à savoir ce que la Cour d’appel de renvoi décidera sur le fond…