La délivrance des legs est une formalité relativement mal connue des praticiens non spécialistes des successions. Cette investiture continue pourtant d’animer le contentieux des successions devant les juridictions judiciaires françaises.
Pour mémoire, le code civil prévoit en effet des formalités distinctes en présence d’une succession volontaire, c’est-à-dire lorsque le défunt a entendu organiser tout ou partie de sa succession par testament.
Ainsi, en présence d’un légataire universel et que le défunt n’a laissé aucuns héritiers réservataires, le bénéficiaire du legs est tenu de solliciter l’envoi en possession (procédure aujourd’hui très majoritairement déjudiciarisée et confiée au notaire pour toutes les successions ouvertes à compter du 1er novembre 2017), ceci afin que soit exercé un contrôle formel de la validité du testament.
Dans toutes les autres situations, le bénéficiaire d’un legs est tenu de solliciter la délivrance de son legs, sauf dans l’hypothèse où le légataire est également titulaire de la saisine, c’est-à-dire lorsqu’il a également la qualité d’héritier (venant utilement à la succession), tels les descendants ou le conjoint survivant.
Plusieurs dispositions du code civil précisent donc le régime juridique de la délivrance des legs, selon la nature des legs et les catégories de successeurs venant à la succession.
Cette procédure en délivrance consiste en une formalité destinée à être accomplie avant la mise en possession du ou des biens légués (legs particuliers) ou de l’universalité ou faction d’universalité léguée (legs universels ou à titre universel). Aucune forme n’est imposée pour solliciter la délivrance (il peut donc s’agir d’un acte authentique notarié ou encore d’un acte sous signature privée. Elle peut également est tacitement reconnue).
Il est traditionnellement enseigné que la délivrance n’a pas pour finalité de rendre le légataire propriétaire du bien, car il l’est depuis le décès. Ainsi, l’attestation immobilière après décès (qui constate le transfert de propriété au profit du légataire et rend opposable ce droit aux tiers) n’exige pas formellement la délivrance amiable par les héritiers (mais cette situation présente un risque certain dans l’éventualité où testament serait ensuite annulé).
Elle a pour objet de faire acquérir au légataire la qualité de successeur saisi : Cette institution a simplement pour objet de permettre la vérification et la reconnaissance provisoire du titre du légataire et son effet est de permettre au légataire d’exercer ses droits sur les biens successoraux ou sur le ou les biens légués, de lui en conférer la jouissance.
La délivrance de legs, une formalité à ne pas omettre…
Depuis quelques années, la haute juridiction judiciaire est régulièrement amenée à se prononcer sur la problématique de la délivrance des legs et de ses incidences lorsqu’il est soulevé de la prescription de l’action.
Dans un arrêt du 15 avril 2015, la haute juridiction est venue préciser que le point de départ de l’action en délivrance court à compter de la date du décès dès lors que celui qui en fait la demande est en possession du testament. (Cass. civ. 1ère, 15 avril 2015, n°13-28.109). Il en aurait été autrement dans le cas où le légataire n’a connaissance du testament que tardivement, par exemple après l’expiration du délai de 5 années suivant le décès.
Dans une autre décision du 30 septembre 2020, la Cour de cassation a pu juger que la prescription de l’action en délivrance n’était pas suspendue par une procédure contentieuse tenant à une contestation portant sur la validité du testament. (Cass. civ. 1ère, 30 septembre 2020, n°19-11.543)
S’agissant du nature de la durée de la prescription de l’action en délivrance – bien que l’arrêt commenté ne se prononcé par explicitement sur cette question – il apparait que l’ensemble des juridictions du fond applique aujourd’hui la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, tout du moins lorsqu’une succession est régie par les lois du 23 juin 2006 et du 17 juin 2008. (les successions ouvertes antérieurement au 1er janvier 2007 peuvent être encore soumises à la loi ancienne qui prévoyait alors une prescription trentenaire).
Enfin, un important arrêt du 21 septembre 2022 est venu préciser que l’action en délivrance ne vaut pas paiement du legs portant sur une somme d’argent, quand bien même celui-ci résulterait d’un testament rédigé en la forme authentique (Cass. civ. 1ère, 21 septembre 2022, n°19-22.693)
Le présent arrêt commenté est l’occasion de revenir sur cette procédure particulière de délivrance, dans un contexte particulier où un légataire était entré d’une part en possession d’un bien immobilier antérieurement au décès et avait d’autre part perçu des loyers d’un local commercial donné à bail à un tiers, sans en avoir demandé la délivrance aux héritiers dans le délai de prescription.
Une personne décède en 2010 et laisse à sa succession plusieurs enfants héritiers réservataires. Elle institue également un légataire à titre particulier de deux biens immobiliers, à savoir :
A l’occasion du règlement de la succession, les enfants de la défunte saisissent le tribunal de plusieurs demandes : A titre principal, ils contestent le testament de leur mère.
Ils invoquent subsidiairement une atteinte à leur réserve ainsi que la prescription de la demande en délivrance des deux legs particuliers consentis par la défunte.
Par un arrêt du 1er juin 2021, la cour d’appel de Rennes se prononce les demandes subsidiaires des héritiers réservataires (la demande principale en contestation du testament étant rejetée) et rejette essentiellement l’argumentation tenant à la question de la délivrance des deux legs particuliers.
Pour s’y opposer, les juges d’appel estiment :
Les héritiers réservataires forment alors un pourvoi devant la Cour de cassation fondée sur deux moyens distincts.
Par un arrêt rendu le 21 juin 2023, la cour de cassation vient casser l’arrêt d’appel sur les deux moyens invoqués par les héritiers réservataires, toutes deux relatives à la question de la délivrance des deux legs particuliers de biens immobiliers.
La haute juridiction est dans un premier temps amenée à se prononcer sur la situation où le légataire est déjà mis en possession du bien légué antérieurement au décès du testateur.
Le gratifié, non investi de plein droit de la saisine, doit-il en pareil cas nécessairement solliciter la délivrance de son legs aux héritiers ?
L’on entraperçoit les difficultés d’appréhender la délivrance : Dans la mesure où la demande en délivrance ne consiste pas en soi à transférer la propriété du bien mais permet la possession et l’acquisition des fruits au profit du légataire, on pourrait alors penser, comme l’avaient estimé les juges du fond, que cette investiture n’est pas nécessaire lorsque la possession du bien immobilier préexiste au décès, d’autant qu’il reste toujours possible d’invoquer une délivrance du legs tacite.
La juridiction suprême devait dans un second temps se prononcer sur les effets juridiques attachés à la prescription de l’action en délivrance.
La prescription de l’action en délivrance a-t-elle seulement pour conséquence d’entraîner la perte des fruits antérieurement à la demande judiciaire, comme l’avait jugé la cour d’appel, ou emportait-elle la déchéance du droit du légataire ?
La délivrance n’est pas uniquement cantonnée à la mise en possession de la chose léguée. Cette formalité permet, avant toute chose, la vérification et la reconnaissance provisoire du titre du légataire.
La seule mise en possession du bien objet du legs, antérieurement au décès du testateur, ne saurait donc à elle seule être interprété comme dispensant le gratifié de solliciter la délivrance auprès des héritiers, d’autant qu’une telle investiture emporte renonciation de ces derniers à se prévaloir des causes d’inefficacité du legs (Cass. civ. 1ère, 15 mai 2008, n°06-19.535).
Dans ces conditions, la Cour de cassation rappelle avec force que le légataire, préalablement en possession du bien légué avant le décès du disposant, reste néanmoins tenu d’en demander la délivrance.
Au visa de l’article 1014 du code civil, les hauts magistrats précisent ainsi que :
« Si le légataire particulier devient, dès l’ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu’il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès ».
Était-il possible d’invoquer l’existence d’une délivrance tacite ?
Dans la présente espèce, il apparaît que les héritiers réservataires s’opposaient formellement à l’exécution du testament dans la mesure où ils avaient tout d’abord saisi le tribunal d’une contestation portant sur le testament lui-même, empêchant vraisemblablement tout espoir de délivrance tacite.
La Cour de cassation devait également se prononcer sur le second moyen invoqué par les demandeurs au pourvoi et qui portait sur les effets de la prescription de l’action en délivrance au regard de la propriété de la chose léguée et des fruits.
Il n’était ici nullement question d’un bien occupé antérieurement par le légataire.
Le bien légué à titre particulier était ici loué au profit d’un tiers, lequel s’acquittait de loyers commerciaux et les versait entre les mains du légataire.
Les héritiers légaux soutenaient devant la cour d’appel que l’action judiciaire en délivrance étant prescrite par l’écoulement du temps (une durée supérieure à 5 ans depuis le décès), le gratifié devait être considéré comme dépourvu de tous droits sur le bien immobilier légué et devait par conséquent restituer tous les fruits perçus depuis le décès.
Les juges d’appel n’avaient pas donné satisfaction aux héritiers légaux. Ils avaient jugé que si l’action en délivrance judiciaire avait été formellement introduite plus de 7 ans après le décès du testateur (soit après la prescription de l’action quinquennale), cette tardiveté de la demande n’avait d’incidence qu’en ce qui concerne l’acquisition des fruits au profit du légataire. Autrement dit, seuls les loyers perçus antérieurement à la demande en délivrance devaient être restitués.
Les hauts magistrats censurent sèchement cette analyse en se fondant sur les combinaisons des articles 1014 alinéa 2 et de l’article 2219 du code civil en jugeant que :
« …lorsque l’action en délivrance du légataire particulier est atteinte par la prescription, celui-ci, qui ne peut plus se prévaloir de son legs, ne peut prétendre aux fruits de la chose léguée. »
Sans détour, la Cour de cassation précise que la prescription de l’action en délivrance entraîne la perte pour le légataire de la propriété de la chose léguée et, par voie de conséquence, de tous les fruits.
La solution rendue par cet arrêt du 21 juin 2023 n’est pas nouvelle.
Dans un arrêt du 28 janvier 1997, la haute cour avait approuvé une cour d’appel d’avoir tiré la conséquence du fait que la prescription de l’action en délivrance, action alors régie par le délai trentenaire de droit commun de l’article 2262 ancien du code civil (Cass. civ. 1ère, 28 janvier 1997, n°95-13.835 ; solution rendue pour un legs universel).
Il en avait également été statué dans le même dans un arrêt plus ancien du 22 octobre 1975, rendu à propos de legs à titre particulier où la cour de cassation avait retenu que : « ‘il résulte de l’article 1014 du code civil que si le légataire a titre particulier devient, dès l’ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu pour faire reconnaitre son droit de demander la délivrance du legs ». (Cass. civ. 1ère, 22 octobre 1975, n°74-11.694)
La prescription de l’action en délivrance entraîne la déchéance des droits du légataire, ainsi qu’a pu le préciser le professeur PATARIN (La prescription trentenaire de l’action en délivrance des legs et ses effets’, RTD civ. 1998, p. 724 ; voir également Prescription de l’action en délivrance d’un legs’, Dr. Famille 6 juin 2015, comm. n°128, p. 27 où l’auteur considère que la prescription de l’action en délivrance devrait être fondée sur l’action décennale de l’article 760 du code civil).
Ces auteurs expliquaient qu’une telle solution résulte du fait qu’il existe une identité entre le délai pour accepter un legs (article 789 ancien du code civil) et le délai de prescription pour réclamer judiciairement la délivrance (ancien article 2262 ancien du code civil).
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, le délai de prescription pour opter était trentenaire.
La loi nouvelle instaure désormais un délai de 10 ans pour opter (article 760 du code civil). Le point de départ était dans les deux cas le jour de l’ouverture de la succession.
Toutefois, ce raisonnement semble perdre aujourd’hui de sa cohérence. L’identité de délai n’existe plus dans la mesure où le droit d’opter (10 ans) et la prescription de l’action en délivrance (5 ans) – fondée aujourd’hui sur la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil (résultant de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription), actuellement très majoritairement retenue par les juridictions ont des durées distinctes.
Le légataire particulier se voit donc en l’espèce perdre tous les fruits éventuellement perçus – ce qui l’obligera à les restituer aux héritiers (ici réservataires) – mais n’a au demeurant plus aucun droit sur l’objet même des deux legs, du fait de son inaction dans la demande (judiciaire) en délivrance, seule interruptive de prescription.
Si le légataire est entré en possession avant d’en demander la délivrance et que l’action est ensuite jugée prescrite, le légataire pourra donc être tenu de payer une indemnité d’occupation aux héritiers et ce, depuis le décès. Si le bien est loué, il pourra également être tenu de restituer tous les loyers qui auraient pu être éventuellement perçus par lui !
Les héritiers légaux (réservataires ou non) seront donc fortement tentés de s’opposer à toute délivrance ou encore d’avoir encore un comportement passif, l’écoulement du temps jouant en leur faveur.
Néanmoins, il faudra tout de même observer qu’ils devront éventuellement répondre des charges afférentes aux biens légués si la délivrance est ensuite judiciaire reconnue mais intervient tardivement. (Cass. civ. 1ère, 19 mars 2008, n°06-19.103)
Les décisions judiciaires rendues depuis plus d’une dizaine d’années vont très généralement dans le même sens, à savoir l’obligation de faire reconnaître et exercer son droit dans les plus brefs délais.
Les légataires seront donc vivement incités à exercer leurs prérogatives au plus tôt.
Les conseils (notaires et avocats) devront quant à eux être particulièrement avisés d’avertir et conseiller le légataire (sur lequel pèse l’obligation légale de demander la délivrance) d’accomplir au plus tôt cette formalité, au besoin par voie de justice, ceci afin de ne pas se voir opposer la prescription extinctive, emportant la perte de tous droits et fruits sur la chose léguée.
Il n’est pas impossible que le légataire – probablement déchu de tous droits sur les deux biens immobiliers légués- ne sera pas tenté d’engager la responsabilité professionnelle, sauf pour lui à exciper d’une éventuelle cause légitime de suspension de prescription, ce qui est peut-être loin d’être acquis…
Références : Cass. civ. 1ère, 21 juin 2023, n°21-20.396, Bulletin civil.