La donation-partage, telle qu’envisagée depuis la loi du 23 juin 2006, constitue un véritable outil de gestion patrimoniale à la disposition des familles et permet une anticipation du règlement de la succession du ou des donateurs. Elle permet en outre aux parties d’envisager une réduction des droits dus à l’administration fiscale.
Très généralement, la donation-partage s’opère dans un acte unique : l’acte authentique reçu par le notaire porte dans un premier temps sur une donation de plusieurs biens, acceptée par tous les donataires.
Ces derniers sont très souvent les héritiers présomptifs (avec ou sans lieu de filiation), tout en précisant que l’acte peut prévoir d’y inclure le conjoint. Mais la présence de tous les héritiers présomptifs n’est pas une condition nécessaire à la réception de l’acte, le défunt pouvant volontairement souhaiter ne pas inclure tous ses héritiers présomptifs (Cass. civ. 1ère, 4 novembre 1981, n°80-13.191).
Mais le principal attrait de la donation-partage, à savoir la cristallisation des valeurs au jour de l’acte, n’est ici plus applicable (article 1078 du code civil).
Les bénéficiaires peuvent encore concerner des tiers (non successibles) dans le cas où le donateur envisage de transmettre une entreprise ou des droits sociaux (article 1075-2 du Code civil). Elle peut encore impliquer des petits-enfants (non héritiers présomptifs) dans le cas de donations transgénérationnelles.
Dans un second temps, l’acte de donation-partage porte sur le partage des biens donnés (ou réincorporés) entre les différents bénéficiaires, au moyen d’allotissements. Une donation-partage peut ici tout à fait prévoir une inégalité entre les lots (non compensée par une soulte).
Le Code civil énonce également, en son article 1076 alinéa 2, que la donation-partage peut intervenir par actes séparés : une donation simple intervient tout d’abord au profit des différents gratifiés dans un seul et même acte (Cass. civ. 1ère, 6 février 2007, n°04-20.029), un second acte procédant quant à lui au partage des biens donnés antérieurement, du vivant du donateur.
Da façon très résiduelle, il peut encore arriver que la donation-partage ne soit pas immédiatement acceptée par les donataires. Dans ce cas, l’acceptation d’un seul donataire suffit à parfaire l’efficacité de l’acte de de donation-partage (Cass. civ. 1ère, 13 février 2019, n°18-11.642).
Si l’acte de donation-partage a pour effet de dispenser les héritiers du rapport successoral, l’absence d’acceptation par tous les donataires fera, là encore, échec aux dispositions dérogatoires de l’article 1078 du Code civil. Sur un plan fiscal, cette situation connaît plusieurs implications (les valeurs sont figées, les droits de donation sont payés sur l’ensemble des biens donnés et cette acceptation fait courir le délai de 15 ans du rapport fiscal prévu par l’article 784 du Code général des impôts).
Comme son nom l’indique, la donation-partage implique que les biens objets de la libéralités soit partagés.
Sur ce point, précisons que le partage est, au sens large, l’ensemble des opérations qui aboutit à faire cesser une indivision et où les indivisaires se voient chacun attribuer des droits divis.
Pendant de très nombreuses années, les Notaires avait en pratique le réflexe de recevoir des donations-partages dans lesquels un ou plusieurs biens donnés restaient indivis entre plusieurs donataires.
Cette façon de procéder s’expliquait notamment pour des raisons fiscales mais également pour des raisons purement pragmatiques : Le Notaire, confrontés parfois à des situations où le donateur n’était pas en mesure de pourvoir suffisamment chacun des donataires au moyen d’attributions divises et de même valeur, acceptait de recevoir l’acte en attribuant à plusieurs ou encre à la totalité des donataires des droits indivis sur un ou plusieurs biens.
Cette pratique permettait beaucoup plus facilement de composer des lots de mêmes valeurs, bien que sur un plan juridique, il était difficile de constater l’existence de ‘lots’ sur une masse restée indivise entre plusieurs gratifiés.
Cette façon de procéder a été remis en cause, du moins dans son aspect civil, par plusieurs arrêts rendus au cours de l’année 2013 et publiés au Bulletin de la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 6 mars 2013, n°11-21.892 ; Cass. civ. 1ère, 20 novembre 2013, n°12-25.681).
Au cours de cette année, la haute juridiction est venue condamner la pratique notariale consistant à recevoir des donations-partages laissant subsister des indivisions sur les biens donnés et est venue rappeler qu’une telle libéralité-partage doit opérer un véritable partage des biens donnés (qu’il s’agisse de simple donation-partage, donation-partage cumulative ou donation-partage conjonctive), à peine de conduire les juges du fond à les requalifier en simple donation avec toutes les conséquences civiles qui en découlent sur les opérations de liquidation.
La Cour de cassation est venue réaffirmer la nature répartitrice de la donation-partage, en énonçant, dans son arrêt du 6 mars 2013, que :
« Il n’y a de donation-partage que dans la mesure où l’ascendant effectue une répartition matérielle des biens donnés entre ses descendants »
Les Hauts magistrats sont clairement venus sanctionner les donations-partages qui avaient pour effet d’allotir plusieurs donataires de biens indivis tout en allotissant privativement d’autres gratifiés.
Ces deux décisions de 2013 ne sont néanmoins pas venues répondre clairement à toutes les situations qui peuvent se rencontrer. Il est ainsi permis de se demander si une requalification d’une donation-partage, dans son ensemble, peut raisonnablement être prononcée lorsque l’ensemble des donataires se voient allotir des biens divis tout en restant parallèlement gratifiés de biens ou droits indivis, surtout lorsque l’indivision subsiste sur des biens qui présentent un caractère accessoire au regard de l’ensemble de l’opération.
Au plan civil, la requalification de l’acte de donation-partage en donation simple entraine de sérieux bouleversements dans le cadre de la liquidation au regard des règles régissant les donations-partages (au plan fiscal la requalification n’entrainant pas de conséquences).
Ainsi, la remise en cause de la libéralité-partage empêche toute application des règles dérogatoires de l’article 1078 du code civil qui avaient été recherchées par les parties : L’évaluation des biens donnés, pour le calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible, doit avoir lieu au jour du décès et, en cas de réduction, au jour du partage.
Par ailleurs, les règles du rapport successoral s’appliquent à l’égard de tous les biens donnés par l’acte requalifié, une réévaluation totale des biens donnés au jour du partage de la succession du disposant doit également avoir lieu. (articles 843 et suivants du Code civil)
On le voit, l’égalité qui avait été initialement prévue par le ou les disposants lors de la réception de l’acte de donation-partage est susceptible d’être remis en cause au jour du règlement et partage de la succession du donateur par le jeu de l’évolution hétérogène de la valeur vénale de tous biens donnés et sur laquelle les gratifiés n’ont eu aucune prise.
Lorsque la donation-partage est matérialisée dans un seul et unique acte – ce qui est le cas le plus fréquent – la volonté répartitrice du donateur ou des codonateurs (en présence d’une donation-partage conjonctive) résulte de l’acte lui-même.
Cette volonté répartitrice peut également intervenir lorsque le partage a lieu par actes séparés, comme l’autorise l’article 1076 alinéa 2 du code civil : En pareil cas, l’acte de donation et le partage interviennent successivement. Néanmoins, le législateur impose seulement que le donateur intervienne aux deux actes.
Une donation simple de plusieurs biens à l’égard de plusieurs gratifiés (constaté dans un seul et même acte) peut dès lors conduire à transformer cette libéralité, en une donation-partage dès lors que le donateur décide de procéder ultérieurement au partage des biens antérieurement donnés, sous réserve cependant d’obtenir l’accord des donataires.
Ceci étant dit, il est aujourd’hui habituellement précisé par les juridictions que le partage doit intervenir du vivant et sous l’autorité du donateur.
On le remarque, la donation-partage intervenue par actes séparés doit conduire les intéressés à ce que le partage intervienne sous l’autorité du donateur.
Or, il est des cas où cette volonté devient assez délicate à mettre en évidence.
Le présent arrêt commenté est l’occasion de s’appesantir sur cette problématique
Par acte authentique reçu le 7 novembre 1995, une personne consent à ses trois enfants une « donation-partage anticipée », avec attribution à sa fille de la pleine propriété de quatre biens mobiliers et, à chacun de ses fils, la nue-propriété de la moitié indivise d’un bien immobilier.
Par second acte authentique reçu le 17 janvier 2008, l’un des fils gratifiés cède à son frère sa quote-part indivise en nue-propriété du bien immobilier préalablement reçu par donation-partage, le donateur intervenant à l’acte pour renoncer à l’action révocatoire et au droit de retour.
Le donateur décède le 14 mars 2013, laissant pour lui succéder sa fille, ses deux fils ainsi que son épouse en qualité de conjoint survivant.
Des difficultés surviennent au cours des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession et la fille du défunt assigne ses cohéritiers en partage judiciaire.
La fille soutient devant les juges du fond que, dans le cadre des opérations de partage, la donation intervenue le 7 novembre 1995 doit être requalifiée en donation simple et doit par conséquent être rapportée à la succession, la valeur du bien donné indivisément aux deux fils devant être appréciée au moment du partage, ceci en application de l’article 860 du code civil.
Par un arrêt du 26 mai 2021, la Cour d’appel de Paris retient tout d’abord que l’acte du 7 novembre 1995, qui n’attribue que des droits indivis aux deux fils ne peut, à lui seul, opérer un partage.
Elle constate ensuite que, bien que le défunt soit intervenu à l’acte du 17 janvier 2008 en qualité de donateur et avait donné son consentement à la vente intervenue entre ses fils pour renoncer à l’action révocatoire ainsi qu’à l’exercice du droit de retour stipulés dans l’acte de donation, il n’apparaît pas pour autant qu’il en ait été à l’initiative ni que le partage ait été réalisé sous sa médiation.
De ce fait, les juges d’appel déduisent que l’acte n’ayant pas résulté de la volonté du donateur de procéder au partage matériel de la donation, mais de celle des copartagés, il ne peut dès lors être reconnu l’existence d’une donation-partage intervenue par actes séparés et d’en appliquer le régime juridique.
Par un arrêt du 12 juillet 2023, qui a vocation à être publié au Bulletin, la Haute cour approuve le raisonnement des juges du fond sur le rôle prépondérant de l’autorité du donateur quant à la répartition des biens donnés en matière de donations-partages par actes séparés.
La Cour de cassation énonce que :
« Il résulte des articles 1075 et 1076, alinéa 2, du code civil que la donation-partage, même faite par actes séparés, suppose nécessairement une répartition de biens effectuée par le disposant lui-même ou, tout au moins, sous sa direction et avec son concours »
Ainsi, la seule participation du donateur à l’acte de cession de quote-part de droits indivis entre les deux frères gratifiés n’est pas de nature à démontrer le rôle central du donateur dans la répartition matérielle des biens antérieurement donnés.
Pour autant, cette rigueur paraît aller au-delà des textes.
Force est en effet de constater que l’article 1076 du Code civil n’exige aucunement que le partage soit le fait exclusif du disposant. (V. Thierry Le Bars, « Attribution de droits en indivision par donation-partage et partage par acte séparé : un nouvel écueil en perspective », JCP N, 1er Septembre 2023, 1154)
Cet auteur expose qu’il pourrait être envisagé de se prémunir d’une telle difficulté en insérant une clause venant expressément matérialiser la volonté répartitrice du donateur dans l’acte séparé, tout en rappelant néanmoins que son efficacité ne serait aucunement assurée de façon absolue dans la mesure où les juges du fonds disposent d’un pouvoir d’interprétation.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris est cependant cassé, sur un tout autre moyen, qui n’a pas vocation à être développé dans le cadre de la présente étude.
La donation-partage par actes séparés, quand bien même celle-ci est envisagée par le législateur à l’article 1076 du code civil, nécessite avant tout de percevoir toutes les difficultés qui pourront se présenter ultérieurement afin de parvenir au partage.
De nombreux évènements futurs pourront être de nature à empêcher d’aboutir au partage anticipé des biens par actes séparés : l’existence de différends familiaux à l’égard de certains gratifiés ou encore l’évolution différente de la valeur vénale des biens donnés (pour des raisons indépendantes de la volonté des gratifiés) ne seront très généralement pas propices à l’apaisement, surtout quand les concernés auront eu la mauvaise idée d’accepter que la donation porte sur des biens de nature différente (meubles / immeubles).
Avec le recul, les rancœurs et jalousies familiales peuvent très vite refaire surface à l’occasion du règlement d’une succession, même au sein des familles qui semblaient jusqu’alors – en apparence – unies.
En d’autres termes, ne jamais repousser au lendemain ce que l’on peut plus facilement imposer le jour même…
Réfs. : Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°21-20.361, à paraître au Bulletin.