Le juge ne peut d’office écarter la clause d’un règlement de copropriété réputée non écrite en l’absence d’une demande formée par les parties. (Cass. civ. 3ème, 22 juin 2022, n°21-16.872)
13 septembre 2022
L’entrée en possession par le légataire du bien légué avant le décès du testateur ne le dispense pas d’en demander la délivrance. La prescription, lorsqu’elle est acquise, emporte la perte de la propriété de la chose léguée et de ses fruits (Cass. civ. 1ère, 21 juin 2023, n°21-20.396)
22 août 2023
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Partage judiciaire et rapport des libéralités : l’évolution des prétentions en appel est permise (Cass. civ. 1ère, 9 juin 2022, n°20-20.688)

Les règles procédurales spécifiques applicables en cause d’appel

Les sanctions instaurées par le pouvoir réglementaire depuis plusieurs années, impliquent aujourd’hui des praticiens une grande maitrise de l’aspect procédural d’un dossier et, surtout, d’une particulière rigueur.

La technicité des règles procédurales, notamment celles attachées à la procédure d’appel, mêlées à des questions de fond assez souvent complexes, met en avant les compétences des avocats spécialistes en procédure d’appel (anciennement dénommés avoués).

Les diverses sanctions couperets applicables dans les procès en appel – irrecevabilité, caducité, nullité, péremption – ne laissent que très rarement la possibilité de profiter ultérieurement d’une régularisation, de sorte qu’il ne parait aucunement inopportun de s’entourer d’avocats spécialistes en procédure ou tout du moins, d’avocats disposant de solides compétences en la matière.

Ceci, d’autant plus que les magistrats d’appel ont aujourd’hui tendance à appliquer très généreusement les sanctions que leur offre le code de procédure civile.

La rigueur de l’évolution des prétentions élevées en cause d’appel en cours d’instance

Depuis plusieurs années, et dans le but d’éviter que des parties au procès d’appel ne soulèvent tardivement de nouvelles demandes en cours d’instance, l’article 910-4 alinéa 1er du code de procédure civile  instaure en effet un principe d’irrecevabilité des prétentions nouvelles qui viendraient à être contenues dans des conclusions notifiées après les délais fixés aux articles 905-2 (procédure d’appel dite à bref délai), 908 à 910 du code de procédure civile.

Cet article dispose en effet que :

 « A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. (…) »

Ce principe d’irrecevabilité des nouvelles prétentions connait néanmoins plusieurs tempéraments, qui sont prévues à l’alinéa 2 du même article.

Ainsi, de nouvelles prétentions demeurent recevables lorsqu’elles sont :

« destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ».

Dans la présente espèce, la Cour de cassation avait à se prononcer sur la recevabilité de prétentions nouvelles formées dans des conclusions notifiées postérieurement aux délais visés aux articles susvisés, dans le cadre d’un contentieux principal relatif au partage judiciaire d’une indivision successorale.

Les faits

Deux parents décèdent successivement en laissant à leurs successions trois enfants communs.

Ne parvenant pas à partager amiablement la succession de leurs parents, les cohéritiers s’affrontent ensuite devant les tribunaux afin que les successions soient partagées judiciairement.

Dans ce contexte, un héritier fait état de l’existence de libéralités rapportables dont ont bénéficié ses deux cohéritiers.

Le litige vient ensuite à être porté devant la Cour d’appel de Rennes.

Un cohéritier dépose à la cour ses premières conclusions (formant appel incident) le 26 novembre 2018. On comprend, à la lecture du moyen du pourvoi, qu’il était déjà à ce stade demandé le rapport de libéralités reçues par ses cohéritiers. Ces premières conclusions étaient parfaitement recevables car notifiées dans le délai de 3 mois fixé par l’article 909 du Code de procédure civile et leur recevabilité ne faisaient pas débat.

Toutefois, ce même cohéritier notifie, postérieurement au 20 février 2019 (date limite où il pouvait sans doute former appel incident), de nouvelles conclusions à l’intérieur desquelles il sollicite que les rapports de libéralités consenties à ses deux cohéritiers soient augmentés à des montants plus conséquents que ceux figurant dans ses premières conclusions.

La position de la cour d’appel de Rennes

Par un arrêt du 19 mai 2020, la Cour d’appel déclare irrecevables sur le fondement de l’article 910-4 du code de procédure civile, les prétentions nouvelles formées par le cohéritier au titre des rapports dus par ses deux cohéritiers contenues dans ses conclusions déposées postérieurement au 20 février 2019, retenant qu’en l’absence de survenance ou de révélation d’un fait postérieur aux écritures de ses cohéritiers déposées dans les délais des articles 908, 909 et 910 du même code, ne sont recevables que les prétentions formées dans ses [premières] conclusions notifiées le 26 novembre 2018.

En d’autres termes, la cour d’appel se contentait seulement d’apprécier la recevabilité des nouvelles prétentions (augmentation des rapports) au regard de « l’absence de survenance ou de révélation d’un fait« , oubliant le cas de la « réplique aux conclusions et pièces adverses« .

Le pourvoi formé devant la Cour de cassation

Le cohéritier dont certaines prétentions sont déclarées irrecevables forme alors un pourvoi en cassation sur plusieurs moyens.

Le premier moyen soulevé, ayant seulement trait à la question de l’irrecevabilité des nouvelles prétentions en application de l’article 910-4 du code de procédure civile, est composé de deux branches :

  1. En premier lieu, il était soutenu que l’augmentation du quantum du montant du rapport constituait une actualisation de la demande initiale, ne constituant pas des prétentions ultérieures au sens de l’article 910- 4 du code de procédure civile.
  2. En second lieu, il était invoqué que « sont en tout état de cause recevables les prétentions destinées à répliquer aux conclusions ou pièces adverses ; qu’en ne recherchant pas si l’augmentation du quantum des demandes de rapport ne constituait pas une réplique aux pièces et conclusions adverses, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 910-4 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable ».

Analyse de la première branche du moyen

L’arrêt de cassation commenté ne permet de précisément identifier les raisons pour lesquelles cette augmentation du quantum n’était intervenu que par des conclusions postérieures aux premières conclusions déposées appel.

Pour autant, l’argumentation retenue pouvait être fragile. Il était en effet possible de considérer que le montant augmenté des rapports figurant seulement dans les dernières conclusions ne pouvait ici être analysé comme une simple augmentation du quantum de la demande initiale.

L’augmentation du quantum des rapports pouvait en effet impliquer qu’il soit préalablement statué sur l’existence de nouvelles libéralités, ce qui n’avait – par hypothèse – pas été demandé dans les premières conclusions notifiées. Ceci pouvait donc être assimilé à une nouvelle prétention et non une simple actualisation.

Si tel était le cas, la seule augmentation du montant du rapport successoral dans des conclusions notifiées postérieurement au délai l’alinéa 2 article 910-4 du code de procédure civile pourrait poser difficulté, les exceptions visées étant plus restrictives que celles visées aux articles 564 à 566 du code de procédure civile.

En tout état de cause, la Cour de cassation ne rentre pas dans ce débat et se contente seulement de statuer sur la seconde branche du moyen, qui tenait à la situation procédurale particulière née du partage.

Analyse de la seconde branche du moyen

Après avoir rappelé qu’en application de l’article 910-2 alinéa 2 du code de procédure civile, l’irrecevabilité prévue par l’alinéa 1er dudit article ne s’applique pas aux prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses, la haute juridiction fait état de la situation spécifique dans laquelle se trouvent les parties en matière de partage.

Les spécialistes de la procédure d’appel, régulièrement confrontés à des questions d’évolution du litige (et des demandes) en cause d’appel, sont régulièrement amenés à connaître des articles du code de procédure civile relatif à l’effet dévolutif de l’appel et aux prétentions nouvelles qui peuvent être régulièrement émise en appel, par l’application des articles 564 à 567 du code de procédure civile.

Et en matière de partage, il arrive bien souvent que l’article 564 du code de procédure civile soit d’une importante utilité, puisqu’il permet habituellement à un cohéritier de former en appel de nouvelles demandes accessoires à la demande en partage sans qu’elles soient déclarées irrecevables. La position de la cour de cassation est de laisser la possibilité aux cohéritiers de former pour la première fois en cause d’appel des demandes (accessoires au partage) qui n’auraient pas été élevées en première instance (Cass. civ. 1ère, 17 juin 1976, n°74-14.697 ; Cass. civ. 1ère, 10 janv. 1978, n°76-10.835 ; Cass. civ. 1ère, 1er oct. 1996, n°94-18.297 ; Cass. civ. 1ère, 25 sept. 2013, n°12-21.280).

C’est donc logiquement que la cour de cassation devait rappeler, pour l’application de l’article 910-4 du code de procédure civile, des règles dégagées de l’application de l’article 564 du code de procédure civile.

La solution rendue par la Cour de de cassation

Dans son arrêt du 9 juin 2022, la Cour de cassation casse donc l’arrêt de la cour d’appel au motif que :

« En statuant ainsi, alors que les prétentions formées par Mme [L] dans ses dernières conclusions portaient sur de nouvelles demandes de rapports dus par Mme [T] [D] et M. [K] [D] et avaient donc trait au partage de l’indivision successorale, de sorte qu’elles devaient s’analyser en une défense aux prétentions adverses, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

L’article 910-4 du Code de procédure civile prévoyant des dispositions textuelles similaires à l’article 564, l’arrêt rendu par les juges u fond avait toutes les chances de faire l’objet d’une cassation : les demandes relatives au rapport successoral (tout comme les demandes en réduction de libéralités excessives), lesquelles tendent incontestablement à l’établissement de l’actif et du passif et ont dès lors trait au partage de l’indivision successorale, font que les parties sont respectivement considérées comme à la fois demanderesses et défenderesses.

Dès lors, de nouvelles prétentions ayant trait au partage de l’indivision successorale, quand bien même celles-ci figureraient dans de nouvelles conclusions notifiées au-delà des délais visés par les articles 905-2, 908 à 910 du code de procédure civile, s’analysent donc en une défense aux prétentions adverses au sens de l’alinéa 2 de l’article 910-4 du code de procédure civile, permettant aux parties de faire évoluer leurs prétentions durant l’instance d’appel (jusqu’à la clôture de l’instruction) sans devoir s’exposer à la sanction d’irrecevabilité prévue à l’alinéa 1 de l’article 910-4 du même code.

Les avocats intervenant dans les procédures de partage judiciaire disposent ici d’une plus grande souplesse pour modifier leurs demandes en cause d’appel si tant est que les nouvelles prétentions émises se rattachent bien à la composition de la masse partageable (demande ayant une incidence sur le passif et de l’actif de l’indivision) ou à une modalité du partage.

Références : Cass. civ. 1ère, 9 juin 2022, n°20-20.688, à paraître au Bulletin.

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Observation : Cet arrêt est à rapprocher d’un autre arrêt prononcé le même jour, cette fois-ci rendu en matière de partage d’indivision suite à une rupture d’un PACS (Cass. civ. 1ère, 9 juin 2022, n°19-24.368).

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