Donation-partage par actes séparés :  la répartition ultérieure des biens doit a minima intervenir sous la direction du donateur et avec son concours (Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°21-20.361)
21 septembre 2023
Testament et absence de date : la date pré-imprimée figurant sur le testament peut constituer un élément intrinsèque (Cass. civ. 1ère, 22 novembre 2023, n°21-17.524)
17 décembre 2023
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Autorité de chose jugée et partage judiciaire : Attention à la qualité des parties (Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°19-14.133)

 

Notion d’autorité de chose jugée.

La notion d’autorité de chose jugée, attachée aux décisions judiciaires, est définie par l’article 1355 du Code civil (anciennement article 1351 du Code civil).

Cet article dispose que :

« L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

Elle peut être définit comme un attribut conféré par la loi aux actes juridictionnels afin d’assurer l’immutabilité de la vérification juridictionnelle et d’interdire le renouvellement des procès (G. Wiederkher, ‘Sens, signifiance et signification de la chose jugée’, Etudes offertes à J. Normand, Litec 2003, p. 507. – C. Brenner, ‘Les conceptions actuelles de l’autorité de la chose jugée en matière civile au regard de la jurisprudence’, Economica 2006, p. 221).

Ainsi, le plaideur qui a succombé ne peut plus engager une nouvelle instance, d’une manière directe ou indirecte, ce qui lui a été refusé par une première décision devenue définitive.

Cette notion entraine néanmoins des difficultés d’application selon la nature des décisions rendues.

Ainsi, toutes ne sont pas revêtues de l’autorité de chose jugée : il en va notamment ainsi des jugements de ‘donner acte’ ou encore des jugements d’homologation.

 

L’autorité de chose jugée en matière successorale.

La notion d’autorité de chose jugée peut également avoir une appréciation différente suivant le nature du contentieux.

En droit des successions, il peut arriver que la Haute juridiction soit amenée à réserver un sort particulier à la question de l’autorité de chose jugée.

Il a pu être jugé que le rejet d’une demande en réduction présentée à l’occasion d’une demande d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage, est dépourvue d’autorité de chose jugée.

Dès lors que ce n’est qu’au cours des opérations, ainsi ordonnées, que pourra être déterminée la valeur de la part de réserve à laquelle chaque héritier peut prétendre dans chacun des successions et que pourra être vérifié que chacun d’eux sera dépourvu de ces parts, éventuellement par prélèvement sur les biens existant comme le prévoit l’article 1077-1 du Code civil (Cass. civ. 1ère, 16 juillet 1007, n°95-13.316).

 

La chose jugée et la procédure civile : une fin de non-recevoir permettant au juge de ne pas statuer sur le bien-fondé de la demande.

Envisagé dans le Code de procédure civile comme un moyen de défense, l’autorité de chose jugée est au plan procédural qualifiée de fin de non-recevoir (article 122 du code de procédure civile).

L’autorité de chose jugée est de nature à permettre à une juridiction de ne pas statuer sur le bien fondé d’une demande si celle-ci a déjà fait l’objet d’une précédente décision de justice.

Sur le fondement de cette notion, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a d’ailleurs dégagé un important principe d’obligation de concentration des moyens (Cass. ass. plén., 7 juillet 2006, n°04—10.672), à distinguer de la concentration des demandes (dont le non-respect n’est jusqu’alors pas sanctionné, sauf cas particuliers).

 

L’autorité de chose jugement et la nature des décisions de justice.

Toutes les décisions de justice ne sont pas revêtue de l’autorité de chose jugée. Ainsi, les ordonnance de référé ou les ordonnances d’incident n’ont pas, au principal, l’autorité de chose jugée, respectivement en application des articles 488 et 794 du Code de procédure civile, sauf en ce qui concerne cette dernière catégorie, lorsque la décision statue sur une exception de procédure mettant fin ou non à l’instance (Cass. Civ. 2ème, 9 janvier 2020, n°18-21.997)

Les jugements avant-dire droit ordonnant une mesure d’instruction sont normalement considérés comme étant dépourvu de chose jugée (article 482 du Code de procédure civile), de sorte que le juge du fond ne peut être lié par une décision qu’il a rendue antérieurement avant-dire droit.

Cette analyse ne se vérifie pas toujours, notamment droit des successions : une décision rendue avant-dire droit n’est pas nécessairement exclusif de tout élément contentieux : L’exécution d’une mesure d’instruction impose bien souvent la fixation de certains points de droit qu’il est nécessaire de vider préalablement.

En pareille circonstance, le jugement ne se borne plus à  ordonner une mesure d’instruction. Il tranche dans son dispositif une question litigieuse après un débat contradictoire de sorte que la décision emporte sur ce point autorité de chose jugée.

 

L’autorité de chose jugée de certaines décisions avant-dire droit dans un contexte successoral.

Le contentieux successoral a parfois été l’occasion pour la Haute juridiction de venir apporter des exceptions au principe d’absence d’autorité de chose jugée des décisions avant-dire droit.

Dans le cadre du règlement d’une succession, le juge du fond avait désigné un expert judiciaire pour l’évaluation des biens donnés, décision où ce dernier avait précisément fixé la méthode de calcul de la quotité disponible et la réduction.

Après dépôt du rapport d’expertise judiciaire, l’un des héritiers tentait de revenir sur une autre méthode de calcul pour les opérations.

La Cour d’appel de Limoges, par un arrêt du 17 novembre 1976, avait refusé d’examiner les prétentions nouvelles de l’héritier, au motif que le jugement avant-dire droit, non contesté en appel, avait tranché la difficulté de sorte que cette décision avait autorité de chose jugée. La Cour de cassation approuve les juges du fond et rejette donc le pourvoi (Cass. civ. 1ère, 10 octobre 1979, n°78-11.875).

La solution peut être cependant différente lorsque la décision avant-dire droit n’a pas statué sur des éléments contentieux à l’issue d’un débat contradictoire (Cass. 3ème civ., 23 mai 1978, n°77-11.067, à propos de la date à retenir pour procéder à l’évaluation de l’immeuble dans le cadre d’une action en rescision pour lésion de plus des 7/12ème).

Si enfin le jugement présente une nature mixte, les chefs qui tranchent une partie du principal a, en pareil cas, autorité de chose jugée (mais il parfois délicat de tracer les limites de la notion de jugement mixte).

 

La chose jugée et la notion d’identité de partie.

Pour que puisse être invoquée l’autorité de la chose jugée au cours d’une nouvelle instance, il est nécessaire que la nouvelle demande ait lieu « entre les mêmes parties et formée par elles en la même qualité ».

Deux conditions sont nécessaires et suffisantes pour qu’il y ait identité de parties : Il faut avoir figuré ou avoir été représenté à l’instance que le jugement a éteinte, et se présenter dans l’instance en cours avec la même qualité que dans le litige précédent.

La Cour de cassation était ici saisie d’un pourvoi d’un héritier contre une décision de la Cour de d’appel de Reims ayant déclaré irrecevable sa demande d’attribution préférentielle de plusieurs parcelles de terrain suite au décès de sa mère au motif que cette même demande avait été rejetée dans le cadre d’un premier contentieux concernant le partage de la succession de son père.

 

 

Les faits de l’espèce.

Un père décède le 1er août 1998, laissant pour lui succéder son épouse et ses deux enfants.

Ses héritiers saisissent le juge pour que soit ordonnée l’ouverture des opérations de comptes, liquidation, partage de la succession, demande à laquelle il est fait droit par jugement du Tribunal de grande instance du 3 mars 2006.

A l’occasion de ce litige, l’un des deux enfants (le frère) demande judiciairement l’attribution préférentielle des parcelles indivise sur lesquels il dispose d’un droit de fermage, qui est rejetée et il est ordonné la licitation judiciaire des immeubles.

Par un arrêt du 15 mars 2006, une Cour d’appel prononce la résiliation du bail verbal consenti à l’enfant en raison d’un défaut de paiement des fermages.

Le conjoint survivant décède le 10 octobre 2014 laissant pour lui succéder ses deux enfants. A l’occasion du règlement de cette seconde succession, les deux héritiers ne parviennent toujours pas à régler amiablement cette succession, de sorte que la sœur assigne son frère en partage judiciaire.

Lors de cette nouvelle instance, le frère présente une nouvelle fois une demande d’attribution préférentielle des mêmes parcelles indivises.

Par un arrêt du 6 septembre 2018, la Cour d’appel de Reims déclare cette demande d’attribution irrecevable au motif qu’elle se heurte à l’autorité de la chose jugée au jugement rendu le 3 mars 2006, cette décision ayant été rendue entre les mêmes parties, en leurs qualités d’héritières. Elle refuse le partage en nature des biens et ordonne donc la liciation judiciaire.

Le frère forme un pourvoi devant la Cour de cassation sur plusieurs moyens distincts, notamment pour violation de l’article 1355 du Code civil relatif à l’autorité de chose jugée.

 

L’arrêt rendu par la Cour de cassation.

Sans grande surprise, la Cour de cassation casse, notamment sur cette question d’autorité de chose jugée, l’arrêt de la Cour d’appel de Reims pour violation de la loi.

La Haute cour rappelle en effet qu’aux termes de l’article 1355 du Code civil :

« L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité. »

Constatant que le jugement du 3 mars 2006 avait été rendu entre les parties en leur qualités d’héritières dans la succession de leur père prédécédé, alors que la demande d’attribution préférentielle dont elle était saisie était formée par le frère contre sa sœur, en leurs qualités d’héritiers de leur mère, les hauts magistrats sont inévitablement conduit à censurer la Cour d’appel.

De ce fait, la plus haute juridiction casse inévitablement les autres chefs de dispositif rejetant la demande tendant au partage en nature de la succession de la mère, ordonnant la licitation de divers biens et fixant les modalités de celle-ci.

 

La qualité des parties en droit des successions : une notion à ne pas sous-estimer.

Le contentieux du droit des succession conduit parfois des héritiers en ligne directe (descendant) à régler leurs différends à l’occasion de procès distincts, de façon plus ou moins rapprochée dans le temps.

Les praticiens doivent, en pareille circonstance, précisément identifier en quelle qualité les clients interviennent au procès, en particulier lorsque les instances judiciaires en partage judiciaire se superposent (par exemple en raison du décès du second parent en cours d’instance portant sur le partage judiciaire de la succession du prémourant).

Ce qui a été jugé à l’occasion de la succession d’un premier parent ne saurait permettre aux juges de déclarer irrrecevable une même demande présentée, lors du règlement de la seconde succession en raison de l’autorité de la chose jugée.

En l’espèce, il appartiendra aux juges de la Cour d’appel de Reims autrement composée, dans le cadre de l’instance sur renvoi après cassation, de préciser si la demande d’attribution préférentielle des biens successoraux présentée par l’un des cohéritiers est ou non fondée.

Réfs. : Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°19-14.133.

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