L’action en diminution du prix de vente d’un lot de copropriété prévue par l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965 est interrompue par une assignation en référé expertise dont l’objet tend seulement à confier à l’expert judiciaire une mission relative à l’établissement de la surface des lots vendus (Cass., 3ème, 12 novembre 2015, n° 14-18.390)
29 novembre 2015
L’application d’une clause pénale limitant la contestation d’un partage, stipulée dans un acte de donation-partage, nécessite que les juges du fond recherchent s’il n’est pas porté une atteinte excessive au droit d’agir en justice (Cass., 1ère, 16 décembre 2015, n°14-29285)
16 janvier 2016
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Rapport d’un avantage indirect, intention libérale et prescription… (Cass., 1ère, 21 octobre 2015, n°14-24487)

Selon l’article 843 du Code civil, « tout héritier (…) venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ».

Cet article du Code civil a pour volonté affichée de préserver l’égalité entre les cohéritiers, du moins lorsque le défunt n’a pas entendu avantager un ou plusieurs de ses héritier(s) par une stipulation contraire (donation par préciput et hors part) ou encore d’un legs (en principe non rapportable selon l’article 843 alinéa 2 du Code civil).

Afin de préserver au mieux l’égalité entre les héritiers, une opération comptable consiste – au stade des opérations de compte et de liquidation de la succession – à réintégrer à l’actif successoral les libéralités rapportables (évaluées selon les règles fixées aux articles 860 et suivants du Code civil), et à imputer, dans la part de l’héritier gratifié, le montant de la libéralité reçue (ou à recevoir dans le cas d’un legs soumis au rapport).

Si l’héritier a reçu plus que sa vocation successorale, celui-ci peut être tenu d’une indemnité de rapport à ses cohéritiers (lorsque le rapport a lieu en valeur).

Néanmoins, une difficulté survient lorsque un ou plusieurs héritier(s) ne bénéficient non d’une libéralité rapportable (donation d’un immeuble, un don manuel, …) mais d’un avantage indirect.

Très souvent, l’avantage indirect est constitué par l’occupation gratuite par l’un des héritiers d’un logement appartenant au de cujus. En pareille situation, certains cohéritiers sont tentés de venir solliciter, lors du règlement de la succession, un rapport de l’avantage indirect.

Bien évidemment, lorsque le montant des sommes à rapporter est important, un litige apparaît aussitôt entre les héritiers sur le fait de savoir s’il est permis de soumettre lesdites sommes aux règles du rapport prévues à l’article 843 du Code civil.

Quatre arrêts de la Cour de cassation rendus le 18 janvier 2012 sont venus apporter un intérêt nouveau à cette question dans la mesure où il a été affirmé le principe que l’avantage indirect procuré par la mise à disposition gratuite d’un logement au bénéfice d’un héritier ne suffit pas à appliquer les règles du rapport, sauf à prouver l’existence d’une intention libérale.

En d’autres termes, la Cour de cassation exige pour appliquer les règles du rapport à l’avantage indirect, de prouver l’existence d’une intention libérale.

C’est ce que vient à nouveau affirmer l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 21 octobre 2015, cette fois-ci non pas pour l’occupation gratuite d’un logement, mais pour des fermages non réglés par un héritier à ses parents (propriétaires-bailleur) et ce, pendant de nombreuses années.

Toutefois, l’intérêt de l’affaire soumise à la Cour de cassation portait avant tout sur la question du rapport lorsque le litige fait apparaître une dette de nature contractuelle et du jeu de l’application de la prescription quinquennale.

En l’espèce, deux parents propriétaires de plusieurs parcelles agricoles avaient signé avec un de leur fils, deux contrats de fermage : le premier avait été conclu en 1979 et le second en 1992.

Le décès du père était intervenu en 1996 et les héritiers n’avaient pas réglé la succession.

Au décès du conjoint survivant le 21 septembre 2006, plusieurs héritiers ont entamé des démarches afin de régler les successions confondues de leurs parents, de sorte qu’un notaire fût saisi.

Informés par ce dernier du fait que leur cohéritier (fermier) n’avait, pendant de nombreuses années, pas réglé les fermages prévus dans les contrats, plusieurs héritiers ont entendu que les sommes impayées soient soumises aux règles du rapport.

Après avoir obtenu un rapport d’expertise judiciaire, les cohéritiers ont sollicité et obtenu, devant la Cour d’appel de Rennes (arrêt du 2 avril 2014), le rapport d’une somme de 32.192,02 € résultant du non-paiement de fermages entre 1979 et 2007, les juges du fond ayant notamment refusé de faire droit à la prescription quinquennale opposée par l’héritier fermier au motif que le rapport successoral ne peut être réclamé par les cohéritiers qu’après l’ouverture de la succession.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, au visa de l’article 2277 du Code civil alors en vigueur, en énonçant que « seule une dette existante peut faire l’objet d’une libéralité, de sorte que c’est au jour de l’ouverture des successions qu’il y avait lieu de se placer pour apprécier si les dettes de fermages étaient ou non prescrites. »

 

La Cour de cassation invite ici à différencier.

 

Jusqu’à présent, les arrêts de 2012 susvisés de la Cour de cassation portaient sur l’occupation gratuite par l’un des héritiers d’un logement appartenant à ses parents, sans que n’existe de contrat de bail. En d’autres termes, la jouissance gratuite par l’héritier ne pouvait donner lieu à l’existence d’une dette, à défaut de conclusions d’un contrat stipulant le paiement d’un loyer.

La problématique était ici quelque peu différente. Le droit du fermier pour exploiter les parcelles de terres appartenant à ses parents résultait de deux contrats aux termes desquels un fermage était dû périodiquement.

Cette convention faisant naître un lieu d’obligation entre les bailleurs et l’héritier fermier, débiteur des fermages.

L’article 2277 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 (portant réforme de la prescription), disposait que « se prescrivent par cinq ans les actions en paiement (…) des loyers, fermages et des charges locatives (…) » ;

Depuis la réforme du 17 juin 2008, cette prescription spéciale n’existe plus mais l’arrêt conserve néanmoins son intérêt dans la mesure où les actions personnelles ou mobilières se prescrivent pareillement par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (article 2224 du Code civil).

Le fermage constituant une dette dans les rapports entre les bailleurs et le fermier, les parents disposaient donc, tout du moins sur le plan juridique, de la faculté d’en solliciter paiement, contrairement à la situation habituellement rencontrée où un descendant occupe gratuitement un bien immobilier appartenant à ses parents, sans la moindre convention.

Par cet arrêt, la Cour de cassation précise donc que le jeu de la prescription – sous réserve qu’elle soit bien soulevée devant les juges du fond – limite le rapport des libéralités aux seules dettes existantes. Ceci suppose que l’avantage indirect soit bien considéré comme étant une libéralité, invitant ainsi la Cour d’appel à rechercher si l’avantage indirect résultait bien d’une intention libérale, comme a pu le préciser le second moyen de cassation.

La Cour de cassation précise également à compter de quel moment une créance périodique constitue, pour la règle du rapport, une dette existante.

A cette question, la Cour répond que la prescription s’apprécie au jour de l’ouverture des successions. Ceci amène donc le juge, lorsqu’il est saisi du règlement de successions confondues, à distinguer selon la date de chacun des décès afin d’apprécier l’existence d’une dette.

Si l’élément intentionnel est caractérisé, cela reviendra à qualifier l’avantage indirect comme étant une libéralité, soumise aux règles du rapport, et à envisager le rapport des seuls fermages non prescrits, au regard de l’ouverture de chacune des successions.

Le mari étant décédé en 1996, la Cour d’appel de renvoi devra donc, si l’intention libérale est caractérisée, limiter le rapport de l’avantage indirect – dans la succession du conjoint survivant – au regard des seuls fermages impayés à compter du 21 septembre 2001 et prenant également en considération l’option successorale du conjoint survivant lors du décès de son mari (ce que l’arrêt publié ne permet pas de savoir).

Références : Cour de cassation, 1ère chambre civile, 21 octobre 2015, n°14-24487, Bulletin.