Rapport d’un avantage indirect, intention libérale et prescription… (Cass., 1ère, 21 octobre 2015, n°14-24487)
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17 janvier 2016
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L’application d’une clause pénale limitant la contestation d’un partage, stipulée dans un acte de donation-partage, nécessite que les juges du fond recherchent s’il n’est pas porté une atteinte excessive au droit d’agir en justice (Cass., 1ère, 16 décembre 2015, n°14-29285)

La pratique notariale avait fréquemment pour habitude de prévoir, dans les actes de donation-partage, une clause ayant pour objet de venir réduire le risque d’une remise en cause ultérieure du partage opéré par les donataires.

Cette clause, parfois intitulée « Condition de ne pas attaquer le partage », précisait en substance que les donateurs imposent expressément aux donataires de ne pas attaquer le partage et que dans l’hypothèse où le partage venait à être, pour quelque cause que ce soit, contesté par l’un des gratifiés, les donateurs stipulent qu’ils priveront de toute part dans la quotité disponible celui qui entendra porter la contestation et qu’ils font alors donation par préciput et hors parts, sur les biens objets de la donation-partage, d’une part égale à la quotité disponible à celui des donataires ou à ceux des donataires contre lesquels l’action sera instituée.

En d’autres termes, celui-ci qui entendait agir en contestation du partage pouvait se voir opposer la clause contractuelle, et être privé de droits sur la quotité disponible.

S’agissant de la nature de cette clause, celle-ci était analysée depuis de nombreuses années comme étant une clause pénale (Cass. 1ère, 10 mai 1989, n°87-12576 et Cass. 1ère, 13 avril 1992, n°90-19034).

Quelques décisions avaient pu préciser dans quels cas, celui qui entendait tout de même contester le partage, pouvait éviter d’être soumis aux effets d’une telle clause.

Dans un arrêt du 16 décembre 2015 – promis à la plus large publication (Bulletin) -, la Cour de cassation vient aujourd’hui préciser dans quelles conditions cette clause doit être appliquée au regard de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, plus spécialement, de l’article 6 § 1 consacrant le principe fondamental du libre accès à un juge.

En l’espèce, deux héritiers bénéficiaires d’une donation-partage avaient saisi le Tribunal pour remettre en cause l’acte de donation-partage accepté en 1992, qui gratifiaient et partageaient certains biens entre trois enfants donataires.

L’acte de donation contenait une clause pénale stipulant que si le partage venait à être attaqué par l’un ou l’autre des donataires, pour quelle que cause que ce soit, l’auteur serait privé de toute part dans la quotité disponible.

Après le décès du donateur, deux des donataires avaient assigné leur cohéritier-donataire en nullité de l’acte en soutenant avoir été victimes d’un dol de la part de la donatrice en ce qu’il n’avait pas été précisé l’existence d’une assurance-vie au profit de la donataire défenderesse à l’action, ni l’existence de plusieurs dons manuels aux enfants du donataire défendeur à l’action.

A titre reconventionnel, la donataire défenderesse à l’action avait invoqué l’application de la clause pénale et sollicitait donc que lui soit attribuée l’entière quotité disponible de la succession de sa mère.

La Cour d’appel de Pau avait tout d’abord rejeté – justement- les prétentions des deux héritiers demandeurs au motif d’une part, que l’existence d’une assurance-vie n’est pas une donation (qui rappelons le sont normalement hors succession), et d’autre part, que le descendant du donataire défendeur à l’action n’était pas partie à l’acte de donation partage. La Cour refusait donc d’admettre l’existence d’un dol de la donatrice.

Le moyen avancé devant la Cour de cassation qui tendait à remettre en cause l’arrêt de la Cour d’appel sur cette question ne pouvait donner lieu qu’à un rejet.

Néanmoins l’enjeu du pourvoi se concentrait surtout sur les effets juridiques attachés à l’application de la clause pénale, notamment au regard d’une des libertés fondamentales consacrée par la Convention européenne des droits de l’homme, celle permettant à tout justiciable membre de ladite convention, de pouvoir avoir recours à un tribunal (droit d’accès au juge).

Au cas d’espèce, la Cour d’appel avait décidé que cette clause pénale devait être pleinement appliquée.

L’arrêt précisait que l’action intentée devait s’analyser comme étant une remise en cause du partage lui-même, et l’absence de motif légitime telle que la démonstration d’une atteinte effective portée à leur droit de réserve par cet acte devait donner lieu à l’application de ladite clause.

Devant la Cour de cassation, l’un des moyen au pourvoi formé par les deux donataires soutenait le fait qu’une clause qui menace d’exhérédation un héritier qui tente simplement de faire valoir son droit de poursuivre l’annulation d’une donation-partage à laquelle il n’a consenti que sous l’empire d’un dol est illicite, et contrevient à l’article 6 du Code civil, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

L’arrêt de la Cassation retient l’argumentation des deux héritiers ayant décidé de saisir le juge pour remettre en cause le partage opéré.

Au visa de l’article 6 § 1 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, les hauts magistrats cassent l’arrêt d’appel et énoncent que les juges du fond ne pouvaient donner application à la clause pénale litigieuse sans rechercher si son application n’avait pas pour effet de porter une atteinte excessive au droit d’agir en justice.

Cette décision doit être pleinement approuvée.

Les effets juridiques découlant de l’application d’une telle clause pénale peuvent avoir de sérieuses conséquences sur un plan strictement patrimonial.

Si le droit des successions permet encore aujourd’hui largement aux disposants de pouvoir avantager l’un ou plusieurs des héritiers au détriment d’un ou plusieurs autres, ils ne pourront désormais plus se contenter d’insérer une telle clause comme technique de sécurisation du règlement successoral.

Références : Cass., 1ère, 16 décembre 2015, n°14-29285.