L’interposition d’une société ne fait pas obstacle au rapport à la succession d’une donation. En cas de donation faite par le défunt à l’héritier par interposition d’une société dont ce dernier est associé, le rapport est dû à la succession en proportion du capital qu’il détient (Cass., civ., 1ère, 24 janvier 2018, n°17-13017)
19 février 2018
Validité du testament authentique dressé par un notaire alors que l’un des témoins est lié au légataire par un pacte civil de solidarité (Cass. civ., 1ère, 28 février 2018, n°17-10876)
19 mars 2018
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Les créanciers du défunt sont fondés à solliciter la réintégration à l’actif successoral du montant des primes manifestement excessives alors que le tuteur a été autorisé, par le juge des tutelles, à placer les capitaux de la personne protégée sur un contrat d’assurance-vie. Le montant des sommes récupérées par l’organisme social, créancier de la succession, ne constitue pas une dette successorale permettant à l’héritier acceptant pur et simple de venir solliciter une décharge mais une charge de la succession. (Cass. civ. 1ère, 7 février 2018, n°17-10818)

L’essentiel : Le créancier est fondé à demander le remboursement des primes manifestement exagérées versées sur un contrat d’assurance sur la vie en fraude de ses droits quand bien même les capitaux ont été versés par le tuteur sur ce contrat après autorisation du juge des tutelles, dans l’intérêt de la personne protégée. L’héritier acceptant pur et simple n’est pas fondé à solliciter la décharge du montant des sommes récupérées par l’organisme social, celles-ci ne constituant pas des dettes successorales mais des charges de la succession nées postérieurement au décès de l’allocataire.

Comme chacun le sait, les sommes versées au titre d’un contrat d’assurance sur la vie sont, au plan civil, considérées comme ne faisant pas partie de la succession de l’assuré.

L’article L. 132-12 du Code des assurances dispose en effet que :

« Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré. »

Le législateur en tirant immédiatement des conséquences sur un plan successoral, l’alinéa 1er de l’article L. 132-13 du même code précise que :

« Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. (…) »

En d’autres termes, le capital ou la rente versés au(x) bénéficiaire(s) désigné(s) dans le contrat ne sont pas considérés comme étant des libéralités, de sorte que lesdites sommes échappent aux règles du rapport et de la réduction.

Néanmoins, afin d’éviter que cet instrument de gestion patrimoniale soit uniquement utilisé pour détourner l’intégralité ou une partie importante du patrimoine de l’assuré, le législateur a posé une limite qui figure à l’article L. 132-13 alinéa 2 :

« (…) Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. »

Seules sont concernées les primes versées sur un contrat d’assurance sur la vie (et non le capital ou la rente). En outre, les versements doivent avoir été manifestement exagérés eu égard aux facultés du contractant.

La Cour de cassation est venue à plusieurs reprises préciser les conditions d’application de l’alinéa 2  de l’article L. 132-13 du Code des assurances. Ainsi, le caractère manifestement exagéré des primes versées s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci (Cass. civ., 1ère, 19.03.2014, n°13-12076, Bulletin 2014, I, n°52).

Ces dispositions profitent également aux créanciers du contractant.

Selon l’article L. 132-14 du Code des assurances, les créanciers ont droit au remboursement des primes, dans le cas visé par l’alinéa 2 de l’article L. 132-13, mais ne disposent cependant d’aucun droit sur le capital ou la rente garantis au profit d’un bénéficiaire déterminé.

Ce texte précise également les conditions dans lesquelles le créancier doit exercer son action (exercice de l’action paulienne de l’article 1341-2 du Code civil ou encore exercice de l’action en application des articles L. 621-107 et L. 621-108 du code de commerce).

S’agissant des organismes ou services sociaux qui entendent solliciter la récupération des prestations sociales versées, ceux-ci bénéficient toutefois d’un régime assez favorable prévu à l’article D. 815-6 al. 3 du Code de la sécurité sociale.

Cet dernier article prévoit en effet que :

«  (…) Toutefois, pour la détermination de l’actif net ouvrant droit au recouvrement, les organismes ou services mentionnés à l’article L. 815-7 ont la faculté de faire réintégrer à l’actif toutes les libéralités consenties par l’allocataire quelle qu’en soit la forme ainsi que les primes versées par celui-ci au titre d’un contrat d’assurance vie dès lors que :

-ces libéralités et ces contrats d’assurance vie respectivement consentis ou conclus postérieurement à la demande d’allocation sont manifestement incompatibles avec les ressources ou biens déclarés par l’allocataire pour obtenir ou continuer à percevoir l’allocation de solidarité ;

-et que ces libéralités et ces primes, en minorant l’actif net successoral, ont eu pour effet de faire obstacle en tout ou partie à l’exercice par les organismes et services précités de leur action en recouvrement sur succession de l’allocation de solidarité. (…) »

L’arrêt commenté avait ici trait à la question de savoir si un héritier est fondé à venir s’opposer à l’action en récupération d’un organisme social sur les sommes placées sur un contrat d’assurance-vie par un tuteur dans l’intérêt du majeur protégé après autorisation du Juge des tutelles.

Les faits étaient les suivants :

M. Pierre X…, propriétaire d’un bien immobilier, bénéficiait également du versement par la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) d’une allocation de solidarité aux personnes âgées depuis 1987.

Placé ensuite sous tutelle, le représentant légal (le tuteur) décide, conformément aux intérêts de la personne protégée, de vendre l’immeuble et de placer le prix de vente sur un contrat d’assurance sur la vie, après voir obtenu l’autorisation du juge des tutelles.

Pierre X… décède et laisse à sa succession ses quatre enfants. Désignés bénéficiaires par le contrat, ces derniers perçoivent leur quote-part du capital de l’assurance-vie.

A l’ouverture de la succession, l’organisme social – sans doute informé par le Notaire en charge de la succession – se rapproche des quatre héritiers du défunt, afin d’obtenir la récupération des sommes versées au titre de l’aide sociale en les réintégrant fictivement à l’actif net successoral, comme le permet l’article L. 815-13 du Code de la sécurité sociale (article qui précise notamment que la récupération des sommes versées par l’organisme social ne peut avoir lieu que sur la fraction de l’actif net (1) qui excède un seuil dont le montant est fixé par décret [39.000 €] (2) et dans la limite d’un montant fixé par décret [le montant annuel était en 2014 de 6.220 € pour une allocation]).

L’actif net successoral (composé des biens existants diminués des dettes successorales) ayant été fortement amoindri par le versement antérieur des capitaux sur le contrat d’assurance-vie, la CARSAT informe donc les héritiers de sa décision de réintégrer le montant de la prime versée sur le contrat d’assurance-vie.

L’un des héritiers, Mme X…, conteste cette décision de récupération devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale.

Par un arrêt du 27 novembre 2015, la Cour d’appel de Versailles (statuant sur l’appel du jugement rendu en première instance) retient l’argumentation de l’organisme social créancier qui soutenait que les primes présentaient un caractère manifestement exagéré et avaient été souscrites en fraude de ses droits, et ce, alors même qu’une décision du Juge des tutelles avait autorisé le tuteur à placer des capitaux sur un contrat d’assurance sur la vie.

Mme X… ayant été déboutée de sa contestation en appel forme un pourvoi devant la Cour de cassation.

Dans son arrêt du 8 février 2018, la Cour de cassation rejette le moyen de Mme X… qui tendait à soutenir que la décision rendue par le Juge des tutelles empêchait le créancier (la CARSAT) de pouvoir se prévaloir de l’article L. 132-13 du Code des assurances.

Non réceptive à l’argumentation formulée par l’héritière, la Haute Cour estime au contraire que « l’autorisation donnée par le juge des tutelles à un tuteur de placer, sur un contrat d’assurance sur la vie, des capitaux revenant à un majeur protégé, ne prive pas les créanciers du droit qu’ils tiennent de l’article L. 132-13 du code des assurances de revendiquer la réintégration, à l’actif de la succession, des primes versées par le souscripteur qui sont manifestement excessives au regard de ses facultés »

Cette décision ne peut qu’être approuvée.

En effet, le juge des tutelles a notamment pour mission d’autoriser les actes les plus graves que peut accomplir le tuteur, dans l’intérêt de la personne placée sous protection. L’autorisation éventuellement donnée par ce juge ne doit pas être envisagée comme pouvant être un moyen d’échapper aux recours que pourraient exercer un créancier, et plus spécialement à l’exercice d’une action en récupération fondée sur l’article L. 132-13 du Code des assurances.

Comme l’avait justement relevé la Cour d’appel, la conclusion d’un contrat d’assurance sur la vie pouvait très bien être envisagée en perspective d’une fructification des capitaux de la personne protégée, à charge ensuite pour la succession d’être éventuellement redevable de certaines sommes auprès de l’organisme social si celui-ci exerçait son droit de récupération.

Au contraire, le prix de vente de l’immeuble perçu pouvait très bien servir à assurer l’entretien du majeur protégé, circonstance de nature à envisager une renonciation au bénéfice de l’allocation versée par l’organisme social. 

La décision du juge des tutelles – quand bien même celle-ci soit de nature juridictionnelle – ne saurait empêcher le créancier de son droit à demander le remboursement des primes versées si toutefois il est démontré leur caractère manifestement exagérées et la fraude faite à ses droits, ce que les juges du fond avaient en l’espèce admis.

Le deuxième intérêt de la décision rendue le 7 février 2008 par la Cour de cassation portait sur la demande de remboursement des primes manifestement exagérées par l’organisme social créancier et la faculté pour l’héritier (ayant accepté purement et simplement la succession) de venir demander la décharge des sommes sollicitées par l’organisme social, sur le fondement de l’article 756 alinéa 2 du Code civil.

Ce dernier article dispose que en effet que :

« L’héritier acceptant purement et simplement ne peut plus renoncer à la succession ni l’accepter à concurrence de l’actif net.

Toutefois, il peut demander à être déchargé en tout ou partie de son obligation à une dette successorale qu’il avait des motifs légitimes d’ignorer au moment de l’acceptation, lorsque l’acquittement de cette dette aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel.

L’héritier doit introduire l’action dans les cinq mois du jour où il a eu connaissance de l’existence et de l’importance de la dette. »

La Cour d’appel de Versailles avait refusé de prononcer toute décharge.

Là encore, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Mme X… et confirme l’analyse des juges du fond, prenant soin de préciser que :

« (…) la décharge prévue à l’article 786, alinéa 2, du code civil ne s’applique qu’aux dettes successorales, nées avant le décès et qui sont le fait du défunt ; que les sommes servies au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui peuvent être récupérées après le décès du bénéficiaire sur une fraction de l’actif net, en application de l’article L. 815-13 du code de la sécurité sociale, ne constituent pas des dettes successorales mais des charges de la succession, nées après le décès de l’allocataire »

Les sommes versées au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ne sauraient en effet être considérées à proprement parler comme étant des dettes successorales.

Nées postérieurement au décès, comme le rappelle les juges, elles constituent donc des charges de la succession, empêchant l’héritier acceptant (pur et simple) de pouvoir bénéficier du bénéfice de  l’action en décharge prévue par l’article 726 alinéa 2 du Code civil.

Réfs. : Cassation, civ., 1ère, 7 février 2018, n°17-10818, à paraître au Bulletin civil. (lien legifrance)

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(1) : L’article D. 815-6 du Code de la sécurité sociale (CSS) précise les conditions du recouvrement.  Il instaure un régime dérogatoire pour la détermination de l’actif net. En effet, sur un plan civil, l’actif net ne comprend jamais les libéralités objets du rapport ou réunies fictivement. Pour cette raison, l’alinéa 3 de l’article D. 815-6 précise que « (…) pour la détermination de l’actif net ouvrant droit au recouvrement, les organismes ou services mentionnés à l’article L. 815-7 ont la faculté de faire réintégrer à l’actif toutes les libéralités consenties par l’allocataire quelle qu’en soit la forme ainsi que les primes versées par celui-ci au titre d’un contrat d’assurance vie dès lors que (…) »

(2) : En application de l’article D. 815-6 al. 2 du CSS, les héritiers ont toujours vocation à recevoir un montant égal à leurs droits de 39.000 € (sous réserve de l’application d’une peine de recel).